Cette édition regroupe 3 essais d'Arthur Schopenhauer, célèbre philosophe allemand du 19e siècle.
Dans L'Art d'avoir toujours raison, le penseur liste des stratagèmes afin de remporter des débats, d'avoir le dessus sur son adversaire dans la dialectique ou bien de contrecarrer ses plans, d'éviter de tomber dans les pièges tendus par son opposant.
Il ne s'agit pas ici d'avoir raison par des arguments valides et véridiques mais d'avoir raison tout court.
L'enjeu n'est pas la vérité, mais la victoire.
La liste est sans surprises et l'on retrouve finalement des façons de procéder que l'on connaît, voire que l'on utilise dans la vie de tous les jours : généralisation du propos de l'interlocuteur, preuve par l'absurde, utilisation de synonymes ou d'un vocabulaire à connotation (positive ou négative), invocation d'une autorité (religieuse, scientifique, étatique...) pour sublimer ses arguments.
On s'étonnera même de retrouver une pointe d'humour lorsque Schopenhauer évoque une personne qui parlerait du droit au suicide à laquelle on rétorquerait d'aller se pendre pour valider son argument !
Un autre point qui m'a frappé est que l'on retrouve le fait de rattacher la thèse adverse à une doctrine peu appréciée voire nauséabonde, élément dialectique que l'on voit souvent fleurir dans les conversations sur internet (le fameux point Godwin). Il est toutefois dommage que l'auteur ne parsème pas plus souvent ses paragraphes d'exemples pour illustrer son propos car certains stratagèmes paraissent moins clairs que d'autres.
Mais cet essai est remarquable car au fil des pages on ne cesse de se dire que l'on connait déjà tout cela et que Schopenhauer a donc tout compris sur la manière de dialoguer, le choix des arguments, de l'être humain. Ce dernier cherche à avoir raison à tout prix et son orgueil l'entraîne vers des choix plus passionnés qu'intellectuels et s'appuyant sur la vérité. Il cite d'ailleurs Bacon à ce propos :
L'intellect n'est pas une lumière qui brûle sans huile, il se nourrit de la volonté et des passions.
Attention, rappelle le philosophe, de ne pas débattre avec tout le monde et avec n'importe qui. Ni tout le temps... car comme le dit le proverbe arabe :
La paix fait pousser ses fruits à l'arbre du silence.
Dans le deuxième texte, A. Schopenhauer nous parle de la lecture et surprendra beaucoup de gens en remettant en cause la lecture intensive. Pour lui trop lire devient paradoxalement abêtissant car l'être humain ne prend alors plus le temps de penser par lui-même, se laisse guider dans ses réflexions et ne fait qu'amasser un bagage culturel et littéraire qui le rend certes cultivé mais impotent sur le plan intellectuel.
Il conseille de lire les auteurs classiques qui ont survécu au fil du temps et qui peuvent éclairer le parcours d'un homme, mais de ne pas se vautrer dans l'actualité littéraire dans le seul but d'être à la page et de pouvoir converser lors des diners avec ses voisins de table.
Son ton est tranchant, incisif lorsqu'il dit :
Lisez attentivement les anciens, les véritables anciens :
Ce que les modernes en disent ne signifie pas grand chose.
Je me reconnais fortement dans son propos même si son extrémisme n'est pas tout à fait le mien, car à ignorer les livres récents on peut passer à côté de belles choses.
Enfin il termine par Les Penseurs personnels où il insiste sur le credo du penser supérieur à la lecture.
Pour lui il y a deux catégories de penseurs : ceux qui pensent pour eux-même, en permanence, dés qu'ils ont un instant ; et ceux qui veulent penser pour les autres, et dicter leur loi.
D'une manière générale Schopenhauer n'élève pas l'être humain, il ne le place que peu au dessus de l'animal, jugeant que ses pensées sont encore centrées sur le moment présent, la sécurité et la préservation de son être, comme un animal qui ne cherche qu'à survivre.
Mais là encore on ne peut que le suivre dans sa démarche d'encourager les gens à penser le plus souvent possible, de faire travailler leur intellect et de ne pas trop se laisser guider par d'autres.
D'une manière globale tout ce qui est dit dans ce livre m'a paru d'un bon sens bienvenu et appréciable. Schopenhauer ne révèle rien mais met en lumière ce qui devrait nous être évident, avec une forme que d'aucun jugeront trop incisive et péremptoire mais qui me paraît toucher au plus juste.