La haine
Je m'attendais vraiment à un bouquin où le bougre nous donnerait des conseils de réparties insultantes pour briller comme un caca mou en soirée mondaine. En fait, il s'agit surtout de lire l'avis de...
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le 22 juin 2021
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Contrairement à ce qu'on pourrait penser en voyant le titre, Schopenhauer ne vous apprendra pas à insulter votre prochain dans ce petit livre...il vous apprendra à avoir raison dans un débat si vous achetez "L'art d'avoir toujours raison" qui est sorti à titre posthume à des fins commerciales indépendamment de sa volonté en revanche. Il ne s'agit ici que d'une compilation ordonnée de façon alphabétique des différentes "pics" et invectives que notre philosophe grincheux (de réputation) favori a pu tenir envers tout ce qui était l'objet de son dégoût et la liste est longue : les femmes (évidemment, même si sa légendaire misogynie est explicable et possède un fondement que seuls peuvent comprendre les individus ayant essayé de connaître un peu sa vie dans les détails au lieu de le condamner en bon chevalier de la vertu made in 2021), Hegel, certains profs de philo, les "philistins", les ignorants, les pédants, les superstitieux, les bigots... Bref, tout ce qui (en principe) énerverait tout homme doté d'un peu de bon sens y passe (même si pour Hegel et pour les femmes il ne faut pas généraliser, j'aime bien les deux...surtout les femmes en fait...enfin pas toutes remarque loin de là même). La plume de Schopenhauer est toujours aussi jouissive et délectable à lire et certains passages nous renseignent parfois (même accidentellement) sur des éléments de sa pensée ou de son système, ce qui n'est pas très utile cela dit si comme moi vous avez déjà lu tout ce qu'il a pu écrire...
Le GROS défaut de ce livre je trouve (si on laisse de côté le fait que ça ne soit pas une œuvre à part entière et que son objectif soit plus divertissant qu'autre chose) c'est sa partialité. En effet, je ne sais pas exactement qui est la personne qui a écrit la préface mais j'aimerais bien parfois que l'on laisse uniquement les gens qui maîtrisent leur sujet parler de Schopenhauer...ça me ferait du bien au niveau des nerfs et ça m'éviterait de bondir ou de fulminer tout seul dans mon coin lorsque je prend le train et que je m'accorde un moment de détente en bouquinant par exemple. Tout ce qui est dit n'est pas faux...certes...mais il y a (à mon sens) au moins deux énormes erreurs : la première est liée à une certaine partialité en la défaveur de l'homme derrière le philosophe, la deuxième est strictement philosophique et demeure liée à un manque réel de culture philosophique ou de connaissance "fine" de la pensée de Schopenhauer. Concernant la première erreur je ne trouve pas cela très "juste" de prendre parti contre Schopenhauer en faveur de sa mère qui se fait un plaisir de mettre plus bas que terre notre philosophe Allemand préféré dans une lettre quand on sait que celle-ci n'était pas (de source sûre) irréprochable elle non plus. Certes, Schopenhauer était imbus de sa personne et râleur (c'est pas un scoop) mais sa mère n'était pas en reste en terme de pédanterie et n'a jamais été toujours très aimante envers son fils (ce qui le fera beaucoup souffrir), sans parler de son caractère matérialiste et dépensier ainsi que de la façon très inhumaine dont celle-ci avait l'air de considérer le paternel d'Arthur (qui s'est suicidé d'ailleurs). Je ne dis pas que Schopenhauer était tout à fait légitime en tenant des propos misogynes ou qu'il avait raison de se montrer régulièrement antipathique avec sa mère (car c'est ce dont elle se plaint) mais, franchement, je pense que tout n'est pas blanc ou noir et que si l'on creuse un peu la biographie de Schopenhauer on trouve des dizaines d'explications qui peuvent rendre compte de son comportement souvent discutable humainement parlant...surtout concernant sa relation à sa mère. J'ai eu l'impression que l'auteur de la préface faisait passer Schopenhauer pour un penseur brillant mais un sale con...honnêtement je n'en suis pas complètement convaincu, le bonhomme avait de sacrées failles (certes) mais il n'était pas si affreux que cela. Je vous conseille vivement la lecture d'un petit livre sorti récemment sous la direction de "Didier Raymond" (spécialiste éminent et brillantissime de Schopenhauer que j'aime beaucoup) : on peut y lire des interviews passionnantes de ce dernier où l'on peut découvrir un individu extrêmement cultivé mais chaleureux et sympathique...bien loin des clichés du "misanthrope", "râleur" et antipathique qu'on nous sert à toutes les sauces comme pour décrédibiliser le philosophe (si les gens qui critiquent Schopenhauer sur cet aspect avaient enduré ne serait-ce que la moitié de ce qu'il a vécu je pense qu'ils seraient bien pires que lui au niveau humain sérieusement...).
L'autre défaut qui est, à mon sens, encore plus grave c'est un défaut au niveau strictement philosophique (et qui fait que le titre du bouquin est légèrement trompeur par conséquent...). En fait, il est dit (je cite) que certaines phrases tout en faisant partie de la nature de la philosophie de Schopenhauer "doivent être entendues plutôt comme des diatribes ou des admonestations. Par exemple, lorsque, au début de son ouvrage principal, Schopenhauer affirme sur un ton lapidaire que le monde n'est que "ma représentation", le bon sens humain ne voit-il pas là un persiflage de ce monde?". Et ce n'est pas tout, l'auteur qui a écrit cette énormité la généralise également à propos de sa célèbre théorie au sujet de la souffrance et de l'ennuie! En gros Schopenhauer développe une théorie (pratiquement neuve et novatrice) de la subjectivité et un "pessimisme" philosophique plus par dégoût pour le monde et ce qui lui apparaît qu'autre chose que parce qu'il a une intuition géniale et essaye, à sa manière, d'atteindre la vérité par le biais de concepts. Ai-je besoin de préciser en quoi c'est complètement faux et stupide??? D'ailleurs, pour en finir une bonne fois pour toutes avec cette incompréhension (source d'innombrables contre-sens) à propos de la citation de début du livre 1 du Monde "Le monde est ma représentation", Schopenhauer a sorti Le monde comme volonté et comme représentation quelques années après avoir effectué deux grands travaux : son "Essai sur la vue et les couleurs" et sa thèse de doctorat "De la quadruple racine du principe de raison suffisante". Contrairement à ce qu'on pourrait penser le premier texte (écrit alors qu'il n'avait que 23 ans!!!) est tout à fait indispensable pour bien comprendre la portée géniale de cette thèse : Schopenhauer y développe notamment le fait que c'est l'œil qui crée la couleur que nous percevons sur les objets, les couleurs ne sont donc pas des propriétés OBJECTIVES des objets eux-mêmes. Cette découverte (validée par l'exemple du daltonisme et diverses découvertes scientifiques ultérieures) posait déjà des bases solides à la théorie de Schopenhauer concernant la réduction du monde à LA représentation du SUJET : c'est bien à notre propre structure cognitive que nous nous référons quand nous nous représentons le monde...rien à avoir avec un "persifflage" envers le monde tssss... Et d'ailleurs Schopenhauer questionne ce premier postulat à diverses reprises dans le livre 3 et 4 du Monde comme volonté et comme représentation...ce que fait tout grand philosophe ayant un esprit critique en principe (depuis Platon).
Bref, si vous voulez avoir un aperçu des meilleures "punchlines" de Schopenhauer et le voir faire preuve de violence parfois gratuite et vous marrer un bon coup ce livre est fait pour vous et il rempli parfaitement bien sa fonction... En revanche, la préface est douteuse et partiellement à réécrire et certaines citations du philosophe ne rentrent pas réellement dans la catégorie de l'insulte ou de l'invective à cause du deuxième défaut que j'ai relevé : tenir des propos "sombres" ou lucides sur le monde (justifiés philosophiquement, voir scientifiquement par la suite...) ne revient pas à l'insulter pour autant que je sache!
Créée
le 13 avr. 2021
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