Kabyles et harkis
Trois générations, trois personnages principaux : Ali, Hamid et Naïma. C'est à travers eux, et ceux, nombreux, qui les côtoient, que Alice Zeniter raconte dans L'art de perdre l'histoire d'une...
le 23 août 2017
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Attention : SPOILS
Avec « l’art de perdre » Alice Zeniter nous livre ici un roman largement autobiographique et donc inspiré par sa propre histoire familiale, roman portant sur 3 générations de kabyles algériens, harkis et exilés en France. Elle nous entraîne dans une véritable saga et ce livre apparaît comme son œuvre à la fois la plus ambitieuse et la plus réussie.
Le grand père Ali, paysan ayant des terres et une bonne situation, un notable, qui après avoir pris position pour les français, plus par hasard, au gré des circonstances que par réelles convictions, pendant la guerre civile est obligé de s'exiler en France avec sa femme et ses enfants. Camps de réfugiés, hébergements de fortune dans des villages à l’écart de tout, isolement, précarité puis HLM en Normandie, Ali est sans cesse “déplacé” d’un endroit à un autre. Puis vient le temps du travail à la chaîne à l'usine, lui qui était propriétaire et faisait travailler ses ouvriers agricoles sur ses terres. Son fils Hamid, obligé de quitter son pays quand il était encore jeune enfant, lui, ne comprend pas, cherche des explications, se rebelle, vit la politisation d'après mai 68, prend ses distances avec ses parents, épouse une française « de souche ». Puis il s’éloigne de ses parents et part vivre à Paris. Et enfin sa petite-fille Naima (dont on reconnaît largement l’auteure à travers elle), parfaitement intégrée, avec un boulot intéressant, et qui dans un premier temps, ne connaît pas et ne cherche absolument pas à s’intéresser à ses racines.
Dans ce long roman, très bien documenté sont abordés pêle-mêle le colonialisme, l'Algérie française, la guerre civile, la décolonisation, les conflits et les déchirements, le racisme, l'exil, le déracinement, la montée de l’islamisme. Mais aussi les non-dits, la honte, l'humiliation, les conflits entre générations, l'incompréhension des jeunes vis à vis des anciens, et des anciens vis-à-vis des jeunes. La façon dont les harkis sont (mal) accueillis et traités en France, pays qu'ils ont choisi de défendre.
Mais aussi la difficulté de choisir son camp et les répercussions de ce choix, fait souvent pour des motifs fortuits et non politiques. La difficulté d'assumer ce choix, les conséquences pour soi, sa famille et ses descendants.
L'ouvrage aborde le thème de l'identité, de l'intégration, du tiraillement entre deux cultures.
(Petite parenthèse sur le sujet de l’intégration et sans rentrer dans le détail et le débat politique sur ce sujet : force est de constater que le modèle républicain censé favoriser l'intégration ne fonctionne plus. Est-il encore un modèle ? Malgré quelques contre-exemple la réponse est non, le modèle républicain ne faisant pas rêver les jeunes issus de l'immigration).
Et aussi celui de la difficile réconciliation entre français et algériens et entre algériens entre eux tant la haine qu’a engendré cette période reste vivace, tenace (le passage où Naïma fait des recherches sur internet sur cette période montre bien la violence verbale qui 60 après les faits n’en finit pas d’être omniprésente).
Dommage que le tournant de mai 68 soit - volontairement ? - complètement passé sous silence. On suit Hamid, ses questionnements mais on passe directement des années lycée de 66/67 au début des années 70.
Alice Zeniter dissèque aussi avec minutie toutes les étapes du basculement vécu par la famille, de la prospérité à l’exil. De la prospérité à la honte.
Si les deux premières parties sont intéressantes et bien documentées, passionnantes même, magnifiquement racontées, la troisième partie, contemporaine, avec le retour de Naïma en Algérie et en Kabylie est assez décevante dans la façon dont le déroulé du récit se fait*.
Malgré quelques petites réserves pas bien importantes par rapport à l’ensemble de l'ouvrage « L'art de perdre » est néanmoins un très bon livre et un grand roman qui retrace avec brio une partie sombre, cachée et méconnue de notre histoire et qui pose sur la table quelques questions des plus actuelles, des plus pertinentes mais aussi des plus clivantes.
Identité, racine et déracinement, culture, colonialisme et décolonisation, devoir de mémoire (ne plus avoir peur de regarder son passé), et ce, quelle que soit notre position sur le sujet, car ce sont des thèmes essentiels.
Et au-delà de l’aspect purement familial, très bien narré, c’est un pan de l’histoire de France méconnu et occulté qui est mis en lumière.
*PS : Concernant mes réserves sur cette troisième partie et son déroulé j’ai choisi de ne pas les argumenter ici et de ne pas publier certaines remarques mais au besoin je pourrais les ressortir en commentaires
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le 22 janv. 2021
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