Ouf ! Quel bonheur de suivre une jeune héroïne forte, intrépide, intelligente !


Au XIXème siècle, en Cornouailles, Mary Yellan est arrachée à son village natal Helston à la mort de sa mère pour gagner l'horreur et le silence de l'Auberge de la Jamaïque, égarée et enfoncée dans la tourbe, battue par les vents criants et gémissants au milieu des granits et des bruyères noires. Elle y retrouve la sœur de sa mère dont il ne reste plus rien du passé innocent et rieur ; le fantôme vivant de tante Patience erre dans l'auberge, stupide, muette et pathétique, tremblant de peur devant son mari, l'immonde Joss Merlyn. L'aubergiste est un ivrogne aux yeux injectés de sang et à l'haleine nauséabonde, grossier, brutal, aux activités mystérieuses et inconnues... L'ambiance est inquiétante, les questions pleuvent en avançant dans la lecture. Pourquoi les gens honnêtes fuient-ils l'auberge de la Jamaïque ? A quoi est due la terreur de la tante Patience ? A quel commerce innommable Joss merlyn se livre-t-il ? Qui sont ces deux personnages mystérieux, le vicaire Francis Davey, caprice de la nature, ennemi du soleil et au profil de rapace, et Jem Merlyn, si troublant et singulier ?


Après Rebecca, retrouver le style de Daphné du Maurier est un grand plaisir. Ses descriptions de la lande par exemple sont magiques :



Des vents étranges soufflaient, qui semblaient ne venir de nulle part. Ils se glissaient à la surface de l'herbe, et l'herbe frissonnait ; ils soufflaient sur les petites flaques de pluie, dans le creux des roches, et les flaques ondulaient. Parfois, le vent hurlait et ses clameurs résonnaient dans les crevasses ; puis ses gémissement se perdaient de nouveau. Il y avait, sur les rocs, un silence qui appartenait à un autre âge, à un âge révolu, évanoui comme s'il n'avait jamais été, un âge où l'homme n'existait point, où seuls des pieds païens foulaient les collines. Il y avait dans l'air un calme, une paix plus ancienne et plus étrange qui n'était pas la paix de Dieu. (...) Dans la distance, au-delà du marais, un roc se dressait, pointant de longs doigts vers le ciel. On eût dit une main qui sortait de la lande. La surface paraissait moulée dans le granit, comme si on l'eût sculptée, et le versant d'un gris sinistre. C'était donc Kilmar Tor. (chapitre IV)



L'Auberge de la Jamaïque est un repère de brigands et contrebandiers, à l'atmosphère pesante, suffocante, énigmatique, sinistre. Pour y accéder, les coches filent à travers les friches et la brume comme des scarabées affolés, s'en éloignant dès que possible. L'héroïne, Mary, ne s'oblige à y rester que pour soutenir sa tante demi-folle et l'en sauver. Mary est une jeune femme très attachante de vingt-trois ans, fière, au courage remarquable, qui affronte les situations avec cœur, hardiesse et caractère. Par ce personnage très attachant, qualifié presque de « garçon » par moment, Daphné du Maurier aborde le thème de la condition féminine et de la place de la femme.



Elle connut une fois de plus l'humiliation d'être une femme quand, brisée moralement et physiquement, son état fut admis comme une chose naturelle. (chapitre XVI)



Elle était seule dans un sombre et détestable univers, avec de maigres perspectives de changement. Si elle était un homme, elle fût descendue et eût défié Joss Merlyn en face, et ses amis avec lui. Oui, elle les eût combattus, eux aussi, et, la chance aidant, le sang eût coulé. Et s'emparant d'un cheval dans l'écurie, elle eût, avec tante Patience en croupe, repris le chemin du sud, vers l'amical rivage d'Helford. Elle se fût installée comme fermière près de Mawgan ou de Gweek et sa tante eût tenu la maison. Mais rêver ne pouvait servir à grand'chose. Il fallait affronter la situation du moment, et avec courage s'il devait en résulter quelque chose de bien.
Et cette jeune fille de vingt-trois ans était assise sur son lit, vêtue d'un jupon et d'un châle, sans autres armes que son cerveau pour affronter un homme qui avait deux fois son âge et plusieurs fois sa force. (…)
Mary fit alors un serment (…) : se donner du courage et une certaine apparence de hardiesse. «Je ne manifesterai la moindre crainte (…) devant aucun homme.» (chapitre IV)



En tout cas, elle ne se marierait jamais ; elle en avait décidé ainsi depuis longtemps. Elle épargnerait quelque argent et ferait le travail d'un fermier. Lorsqu'elle aurait laissé derrière elle l'Auberge de la Jamaïque et arrangé un foyer pour tante Patience, il ne lui resterait guère de temps pour penser à un homme. (chapitre IX)



La religion, le christianisme et le paganisme, la ferveur religieuse, sont aussi abordés. C'est curieusement avec humour que l'auteur le fait, nous octroyant quelques instants de répit entre deux frissons de frayeur.



Je respecte mon estomac, et il réclame de la nourriture. Il y a une boîte sous mes pieds. Si vous avez des dispositions religieuses, vous pouvez manger une pomme. Il y a une pomme quelque part dans la Bible. (chapitre IX)


smilla
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le 15 mai 2017

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