Condamnation, sans appel, du gratin de chou-fleur

Il aime la truite aux amandes, il déteste le gratin de chou-fleur! Tout est dit!
On lui a promis le premier, on sert lui sert le second... Il ne peut que laisser exploser sa colère à la face du monde. Et c'est une malchanceuse demoiselle, dont le seul tort est de s'être assise en terrasse, à portée de sa lourdeur, qui en fera les frais. Elle ne dira rien, il dira tout!
Après 100 pages, il en viendra à une première réflexion de fond: "Certains, à choisir entre une truite aux amandes et un gratin au chou-fleur,choisiront, sans l'ombre d'une hésitation, le gratin! On en voit. J'en connais. Allez, après cela, vivre en bonne entente avec vos contemporains!"


Durant 300 pages, le réquisitoire appelant à une condamnation sans appel du chou-fleur gratiné se poursuit dans le style propre à Eric CHEVILLARD!
Et quelle écriture! Mélange de lourdeur aussi pâteuse que la purée de chou-fleur et aussi frétillante que la truite aux amandes avant d'être passée à la poêle. Une écriture aussi 'fractalisée' que chaque bouquet et chaque fleuron du chou-fleur (chaque idée étant à son tour déclinée, en un tout identique mais à plus petite échelle, en posant le même message déjà 100 fois proposé!) ... Du grand art!


Mais, en même temps, cette écriture 'Chevillardesque' est linéaire et, page à près page, elle propose au lecteur un cheminement vers la compréhension du crime final annoncé quasi d'entrée de jeu. Du grand art!


CHEVILLARD est, à mon sens, l'auteur, actuellement, le plus à même de digresser pour perdre son lecteur, multiplier les points de vues en croisant les regards de l'écrivain, du personnage, du public qui assiste aux non-événements et du lecteur qui s'énerve devant tant de confusion, se pause pour comprendre et saisir, se délecte de tant d'humour et s'accroche aux différentes strates du récit qui, de valeurs ajoutées en redondances inutiles, l'immergent dans la quête du message caché de ce roman. Est-ce une allégorie? Une métaphore qui lui donne à voir une attaque en règle de nos bons vieux romans qui se mitonnent sempiternellement dans les cuisines de la littérature convenue? Ou est-ce plutôt , bien plus puissante, une vision du gratin de chou-fleur qui ne serait que la traduction de notre propre condition humaine, soumise en permanence à la contrariété et à l'enlisement de nos vies? Quel sens fait-il donner à cette croûte qu'il nous faut percer pour, au final, ne pas atteindre les petits bonheurs de la vie qu'on s'estime en droit d'espérer?


Eric CHEVILLARD, il faut l'admettre, est un auteur capable de nous entraîner dans le fantasque, à la suite des pas d'une fourmi, laquelle est suivie des pas d'un personnage ubuesque qui lui-même se fait suivre d'une femme énigmatique, que suit un enfant assoiffé de liberté et d'apprentissage, fasciné par un tamanoir qui, lui, est suivi d'une mère perdue, d'une troupe de cirque et d'une police qui n'a rien compris à la situation!


Alors là, oui, il faut suivre! Le lecteur aime ou débecte - jurant, mais un peu tard, qu'on ne lui prendrait plus! - Pour ma part, j'ai aimé, plus pour le fond que pour la forme qui, à mon sens, est lourde et peu 'lisible' pour un lecteur qui ne peut s'accrocher au récit du début à la fin mais qui doit prendre, poser et reprendre le livre en fonction de ses disponibilités de temps et d'esprit!


Néanmoins, j'ai pêché, dans ce lvre, quelques belles pensées qui portent à réfléchir, penser, méditer ou, tout simplement, apprécier pour la sonorité des mots en concordance avec les idées émises. Je cite: "Nous mutons moutons!"; Comment se supporter dans l'oeil d'autrui?"; "Le savoir vivre est-il autre chose qu'un savoir-éviter?"; Mon coeur est dans ma main quand j'écris!"; "Que sera ma vie -dit l'enfant- si je commence déjà à snober les prodiges que je vois (ndlr: la découverte d'un tamanoir)"; "On ne saurait mettre en balance le risque et a chance. e premier toujours infiniment plus grand et vraisemblable que la seconde." ...


Bref, un réel plaisir de lire cet auteur et de mieux découvrir, je crois, son écriture que la lecture de 'Juste Ciel' m'avait fait découvrir mais sans en saisir toutes les subtilités.

Créée

le 3 mai 2016

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