Parmi la première fournée de la collection Gore, on pouvait trouver cette Autoroute du massacre, seule œuvre d'un auteur français à inaugurer la collection. Non dénué d'un certain sens littéraire, à défaut d'être bien écrit au sens collégial du terme (certaines phrases sont authentiquement drôles), ce livre dépeint un classique jeu de massacre (forcément) entre monstres surhumains et humains transparents.
Classique ? Pas tant que ça en fait. Car, art ou hasard, Joël Houssin diffuse dans son court roman une ambiance pas très éloignée de l'inquiétante étrangeté chère à Freud. Non pas tant dans son déroulement, assez sommaire et répétitif, que dans l'établissement de son cadre de récit. En effet, si la nationalité de l'auteur, celle des personnages, et d'autres indices toponymiques installent clairement le récit en France, beaucoup de choses l'emmènent vers des lieux incertains. En quelques pas l'on passe donc du bayou à l'aire de repos des Jonquilles, tandis que des gendarmes portent holster et Ray-Bans, et que l'on ne roule non pas sur l'autoroute, mais sur l'Autostrada. Côté temporalité, pas d'ambigüité, nous sommes bien en face d'un "produit de son époque" : les personnages font du full-contact, roulent en voitures aux noms oubliés, et l'on retrouve le cliché des Suédoises délurées qui a dû faire fantasmer le globe dans son intégralité dans les années 70 à 80.
On pourrait prendre ces incongruités pour négligences, caprices d'un auteur cherchant à colorer son récit de références américanisantes en dépit du bon sens ; pourtant tout cela s'intègre à merveille au propos du récit, qui, sans trop en révéler, met en scène une fratrie de monstres dont la symbiose avec l'environnement forestier n'a d'égale que leur appétit pour les viscères humaines. Car tout se mélange, tout s'amalgame ici : les automobilistes uniformément coincés sous une chaleur torride ; la narration entremêlant le point de vue des victimes et celui des monstres ; les corps des monstres qui, même morts, fusionnent avec le béton ; jusqu'aux usagers d'une aire voisine qui "partouzent" follement sous le regard des gendarmes en ronde. Tout semble se mêler, sauf ces deux univers : le bayou et le reste du monde, inaccessibles l'un à l'autre pour leurs habitants respectifs, et dont la zone grise constituée par la forêt où se déroulent les événements est la frontière. En parlant de frontière, le nom du héros est Bernard... Tropique, et résume bien l'aspect claudiquant du livre.
Malgré la simplicité de la trame, le récit s'achève sans que l'on comprenne bien ce qu'il en est, mais avant tout, et c'est un atout, L'autoroute du massacre donne une réponse à une question courante : qu'est-ce qu'il se passe derrière ce qu'on voit quotidiennement, mais que l'on ne peut que pressentir ? Plus précisément ici : qu'est ce qu'il se passe derrière les glissières de l'autoroute, derrière ces arbres implantés là comme pour cacher quelque chose ? On a désormais la réponse : le bayou. Une réponse qui, après tout, en vaut une autre : qui ira vérifier ?
Joël Houssin signera dans la collection un livre d'une autre trempe : le traumatisant Echo des suppliciés, catalogue effarant de sévices inouïs.