Très bien écrit, un peu marqué par son époque...
J'ai un peu de mal avec les histoires de rêve et de dimension parallèle, car d'une manière ou d'une autre, elles renvoient toujours à l'exploration de la psyché, de la libido, sans parfois que l'auteur en soit bien conscient. Ce n'est pas le cas d'Ursula Le Guin, cependant. L'auteure assume parfaitement que son roman va avoir un arrière-fond psychanalytique important.
Portland, Oregon. George Orr est envoyé chez un thérapeute, le docteur Haber, un spécialiste des rêves. Orr s'est bourré de somnifères, afin de ne plus rêver. En effet, Orr a remarqué que certains de ses rêves étaient effectifs : ils modifient des éléments de la réalité, et cela lui fait peur, car il garde en parallèle la mémoire du monde antérieur et celle du monde modifié, qui lui vient a posteriori. Haber le traite par hypnose, et en utilisant un amplificateur qui lui permet de passer directement en phase de sommeil profond. Mais peu à peu, le psychiatre dirige les rêves d'Orr, et modifie l'humanité, quoiqu'avec les meilleures intentions du monde. Effrayé, et se réveillant à chaque fois dans un monde aux nouvelles règles créées par son inconscient, George va voir une avocate, Heather Lelache, qui assiste à une séance au cours de laquelle George crée 15 ans auparavant la Grande Catastrophe, un virus qui a ramené l'Humanité à un milliard. Lelache ne comprend pas bien ce qui s'est passé. Haber, lui, se fait attribuer par les rêves une position dominante d'onirologue. Mais les rêves de George deviennent de plus en plus incontrôlable (invasion d'extraterrestres, suppression des différentes couleurs de peau par un gris uni...). Alors qu'Haber guérit George de ses rêves, puis tente une expérience pour pouvoir à son tour faire des rêves effectifs, George parvient à éviter un cataclysme total avec l'aide des Etrangers qu'il a suscité. L'épilogue amène un retour relatif à la normale dans lequel Haber a été interné et George retrouve Heather, qu'il croyait morte.
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Ce roman aborde beaucoup de thématiques différentes. J'aime beaucoup le début, bien documenté sur les phases du rêve, et l'intrigue explore les déviations entre ce que Haber veut que George rêve, et le résultat obtenu, du fait des raccourcis que prend l'inconscient. Cela renvoie non pas tant au thème de l'identité, souvent écorché dans les récits liés à des hallucinations imbriquées qu'au thème de la peur du solipsisme (les gens qui m'entourent sont tous rêvés par moi, je suis seul). En effet, Ursula le Guin n'utilise pas le ressort facile qui consisterait à se demander si ce qui se passe est la réalité ou non : on sait toujours si le héros est éveillé ou non, la peur vient plutôt du fait que son prochain rêve risque de faire disparaître telle ou telle chose qui lui tient à coeur, ou de placer Haber dans une position encore plus hégémonique.
La qualité d'écriture est indéniable, et j'ai rarement lu en SF un passage aussi bien écrit que cette scène d'ouverture sur un rêve de méduse portée par les eaux. J'aurais simplement une légère réserve à propos de l'intrigue, et principalement du personnage de Haber. L'intrigue tourne trop autour de lui, alors que son personnage de chercheur obsédé, indifférent aux barrières morales et persuadé de reprogrammer l'Humanité pour son bien, est un peu trop unidimensionnel à mon goût.
En tout cas ce livre a éveillé ma curiosité pour l'oeuvre de Le Guin et j'essaierai d'en lire d'autres.