Pour un hommage indirect à Robert Castel
Rien de bien nouveau pour qui porte un certain intérêt aux politiques sociales françaises me dira t-on avec raison. Certes, ce livre ne comporte que très peu de surprises au vue des travaux de ses différents collaborateurs. Serge Paugam revient, par exemple, sur la variation des représentations sociales de la pauvreté en montrant comment la conscience de la solidarité se renforce en période de crise économique et se traduit, de façon cyclique, « par une transformation au moins partielle de la fonction elle-même de l’assistance. » (p. 41). Ainsi, Paugam réaffirme le lien étroit, bien connu des spécialistes, observable entre les représentations sociales de la pauvreté, qui puisent leur fondement idéologique dans les politiques publiques mises en oeuvre à un moment donné et dont l'orientation traduit une certaine tradition d'intervention de l'état-providence, et l'état de la conjoncture économique du pays considéré. Si ce constat n'a rien de novateur, il a au moins le mérite d'être exposé clairement en faisant appel à des données chiffrées à même d'étayer ses fondements théoriques. Par ailleurs, Paugam, par le biais d'une perspective socio-historique, nous invite à prendre une certaine hauteur de vue par rapport à la situation française actuelle. Il en va de même pour l'ensemble des articles présentés dans cet ouvrage. En effet, les auteurs ne manquent pas de comparer les situations britanniques, américaines et françaises dans une perspective historique afin d'épaissir leurs analyses et ainsi offrir aux lecteurs des armes théoriques adéquates pour penser les politiques sociales actuelles. On retiendra la présentation des travaux de Nicolas Roinsard faite par Nicolas Duvoux et qui se propose de discuter le concept de désaffiliation élaboré par Castel en l'appliquant au cas spécifique de l'île de la Réunion. Cette présentation, malgré les faiblesses théoriques mises en lumière par Duvoux, réaffirme la nécessaire prise en compte des spécificités socioculturelles des populations étudiées dans l'utilisation du concept de désaffiliation. En effet, s'il convient parfaitement au cas de la France métropolitaine, il nécessite cependant certains ajustements dès lors qu'il est exporté.
Sans rentrer dans une description minitieuse des différentes contributions présentes dans l'ouvrage, retenons simplement qu'il offre un point de vue riche et synthétique à la fois. Il permet d'apoter un regard construit, c'est le propre de la sociologie, sur les idéologies sous-jacentes aux différentes mesures politiques prises en faveur des populations précaires et pauvres en en retraçant le fil historique. Enfin, l'ouvrage permet d'envisager le problème de la pauvreté dans toute sa complexité et invite à relativiser les discours politiques trop prompts à singulariser, au nom du contexte économique actuel, l'opposition entre une pauvreté méritante et une pauvreté oisive. C'est là tout l'intérêt de l'approche sociohistorique proposée : réinscrire les dualismes politiques à l'égard du traitement de la pauvreté dans l'histoire même de l'assistance. L'extrême justesse de la bibliographie présentée en fin d'ouvrage permettra aux lecteurs d'approfondir, à leur guise, les différents points de vue proposés tout au long de l'ouvrage. Je recommande donc fortement cet ouvrage à quiconque souhaiterait se familiariser avec la richesse théorique de la littérature sociologique sur un sujet aussi brûlant d'actualité que peut l'être la solidarité dans nos sociétés occidentales modernes.
PS : En espérant que le décès de Robert Castel, aussi regrettable soit-il, se traduira par une augmentation significative de son lectorat.
Liste des contributeurs : Robert Castel, Nicolas Duvoux, Serge Paugam, Jean-Claude Barbier, Hélène Périvier, Jacques Rodriguez