L'écume des jours. Beaucoup, je pense, comme moi, ont eu du mal à accrocher. Au départ, cette histoire extravagante, ce monde si différent, c'est difficile à saisir, à comprendre, à pénétrer. Tout est absurde, disproportionné. Vian joue avec la mort comme un enfant avec une balle : comme s'il n'y avait rien de plus naturel, de plus innocent. L'improbable se mêle au quotidien. L'anormalité devient la normalité. Et vice versa. Tout est si étrange qu'aux premiers chapitres, on ne comprend pas le monde, on éprouve la sensation d'être de trop dans ce monde qui semble nous dépasser, on est réfractaire à cet univers, à la possibilité de son existence, quelque part, dans la tête d'un auteur, puis de tous ses lecteurs. Peut-être que certains, tout comme je l'ai fait, ont d'abord pensé que Vian était sous l'emprise de la drogue lorsqu'il a écrit ce livre.
Mais peu à peu, on commence les concessions. Bon, d'accord, ce monde est étrange, mais il possède quelques points de réalisme... Ces personnages sont humains malgré tout, ils ont des sentiments semblables aux nôtres... Et puis de fil en aiguille, on en arrive à tout accepter. Même Colin qui se taille les paupière chaque matin, même l'appartement qui change de forme, même le nénuphar qui se développe dans le poumon de Chloé, tout. Et on entre dans ce monde, on le découvre et on le comprend, finalement, comme un certain reflet de notre monde, dont certains détails sont exacerbés au point de paraître tout droit sortis d'un imaginaire, alors que pourtant, ces choses font bel et bien partie de notre monde : on côtoie la mort tous les jours sans s'en apercevoir, on s'étonne de choses sans importances sans se formaliser de ce qui devrait vraiment nous étonner...
L'univers de ce livre est si dur à pénétrer que lorsqu'on y parvient, tout ce qu'il contient nous paraît intensément simple et explicite.