L'Écume des jours par Lexane Sirac
(J'ai posté cette critique il y a longtemps, j'ai supprimé mon compte, je reposte depuis le bon compte !)
Je n’avais absolument aucune envie de lire L’Ecume des Jours. Aucun intérêt, un livre qui me paraissait abstrait, complexe, pédant, un auteur dont on m’avait seriné qu’il était un des piliers de la littérature française. Comme à chaque fois qu’on me dit qu’un auteur est un pilier de la littérature française, j’ai fait la grimace et refusé de lire une de ses œuvres.
C’est dommage, j’ai trop de préjugés. Il faut me forcer à lire un livre pour que j’apprenne à l’apprécier. Zola, Flaubert et Stendhal m’écoeuraient jusqu’au jour où j’ai ouvert la première page de l’un de leurs romans. Pour Zola, c’était Au Bonheur des Dames. Du côté de chez Flaubert, Madame Bovary m’a emportée quand j’avais quinze ans, et l’année précédente, je dévorais Stendhal – je ne serai jamais assez reconnaissante à mon professeur de français, qui m’a fait découvrir Le Rouge et le Noir, mais également le délicieux La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux et La Putain Respectueuse de Sartre cette année-là.
Passons.
Je ne voulais donc surtout pas lire L’Ecume des Jours parce que, horreur, Boris Vian était un pilier de la littérature française, et horreur, Boris Vian était un ingénieur – or, comme chacun sait, la littérature ne devrait pas être laissée entre des mains aussi rigoureuses et vides de poésie que celles d’un scientifique, sans parler de leur cœur ou de leur cerveau à la rationalité étouffante.
Oui mais voilà, l’Ambassadeur insistait. C’était son roman préféré, le film allait bientôt sortir, s’il te plaît ma chérie lis le roman je suis sûr que tu vas adorer. J’ai cédé pour lui faire plaisir, je lui ai fait promettre que s’il me traînait voir l’adaptation au cinéma, il m’accompagnerait voir Iron Man 3, je me suis promis de finir le roman le plus rapidement possible et de faire semblant de l’aimer pour faire plaisir à l’Ambassadeur.
Et voilà, j’ai fini L’Ecume des Jours.
En lisant ce livre, ce qui m’a le plus surpris, c’est le sourire qui restait plaqué sur mes lèvres. Il peut se passer les choses les plus terribles dans ce roman, le ton reste léger, agréable, toujours assez sympathique pour qu’on ne s’inquiète pas, qu’on se dise que tout ira bien. Emporté par les tournures de phrases poétique, le surréalisme des lieux, les dialogues incongrus, on voit les personnages s’empêtrer de plus en plus profondément dans les difficultés de leur situation. C’est lent, c’est doux, ça donne l’impression d’une caresse jusqu’à ce qu’on réalise que c’était un coup de poing, au moment où on ferme le roman.
Tout allait mal mais c’était empli d’espoir, ils continuaient à vivre, heureux, et… et on ne sait pas, on s’attendait à ce que les choses s’arrangent d’elles-mêmes par un quelconque miracle comme on n’en voit que dans les romans, comme les personnages s’attendent à ce qu’elles s’arrangent sans qu’ils aient à faire le moindre effort, dépensant leur argent et abandonnant l’idée d’un travail parce que bon, tant qu’il y en a, tout va bien, et quand il n’y en aura plus, il leur suffira de se serrer la ceinture, pas vrai ? On s’attend à ce que tout redevienne heureux. C’est une lente descente, et enfin, quand on referme le roman, on se demande, mais à quoi est-ce que je m’attendais ?
Je ne sais pas à quoi je m’attendais. Tout ce que je sais, c’est que L’Ecume des Jours m’a frappé. Que c’est un roman extraordinaire, poétique, et incroyablement douloureux. Que j’ai l’impression que ce roman est un concentré de désespoir, rendu beau par les mots magiques d’un écrivain incroyable.
Un pilier de la littérature française, oui.
(Je persiste et signe tout de même, les ingénieurs devraient être interdits d’écrire. Vian aurait simplement dû ne pas être ingénieur.)
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