Durant l'été caniculaire de 1998, Nola, dix-huit ans, ramène l'argent à la maison grâce au job qu'elle a décroché pour les vacances au café l'Evasion.
Dans ce petit appartement à l'architecture saugrenue où Mira (sa mère) et elle ont récemment déménagé en espérant se reconstruire de la mort brutale de Jacques (le père de Nola), la vie semble hélas ne faire que se compliquer. Mira, oisive parce que dévorée par les médicaments, est en proie à un comportement de plus en plus inquiétant. Asthénique et renfrognée – à l'inverse de l'image de mère absolument exemplaire qu'elle renvoyait auparavant -, elle se plaint bientôt de percevoir chaque son avec tant de force qu'elle en vient à obstruer toutes les bouches d'aération de leur logement en dépit de la chaleur insoutenable qui inonde le pays...
"Elle qui, durant dix-huit ans, avait été la Mère des Mères, étouffante d'amour, un amour dont elle vous gavait comme on gave les oies, perpétuellement inquiète, perpétuellement aux petits soins, insupportablement parfaite, à croire qu'elle était en lice pour recevoir un prix, eh bien celle-là, celle qui jadis avait été « maman » n'était plus qu'une gamine qui boudait, enfermée avec des boules Quiès dans un trois pièces meublé." (p. 49)
Par ces longues journées à tanguer entre l'univers des pochards du bistrot dans lequel elle travaille et l'enfer que lui impose une mère s'enlisant perceptiblement dans la dépression, Nola n'a pas le temps d'essuyer son propre deuil et oscille entre colère, tristesse et empathie. L'effet Larsen raconte la sidérante rapidité à laquelle une jeune fille fut forcée de se faire femme...
"[...] cette jeune fille promise à un brillant avenir, un peu excentrique mais tout de même, sage et studieuse – de cette jeune fille-là que j'étais, celle que j'aurais du devenir, il ne restait plus rien. Ma mère continuait parfois de m'appeler Moineau mais l'oisillon semblait passé sous un bus, amas d'osselets et de plumes raides, écrabouillé. Je ne suis pas sûre qu'elle s'en rendit compte, ma mère, tout entière à tenter de survivre, à coups de médicaments, de larmes, et de momification ; mais cet été-là, je l'avais enviée. Envié sa douleur presque comique de veuve sicilienne, son superlatif malheur, ses étranges symptômes. Envié sa réclusion, cette espèce d'hors-la-vie auquel je n'avais pas droit, puisqu'il fallait bien que quelqu'un reste debout. En un sens, elle ne m'avait pas même laissé le temps d'être malheureuse. La perte de mon père m'avait volé l'enfance ; Mira me volait jusqu'à mon chagrin." (p. 46-47)
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L'effet Larsen met au jour les sentiments d'une jeune fille à qui tout avait réussi durant les dix-sept premières années de sa vie. A peine majeure, Nola se retrouve orpheline de père et contrainte de materner sa mère devenue très fragile.
Malgré l'abondance d'événements tragiques qui peuplent l'existence de Nola durant cette étrange année, ce livre m'a semblé n'avoir rien de « bêlant ».
L'histoire est au contraire dynamique et prenante, parce que riche en nuances : la narratrice fait en effet souvent preuve d'humour/de cynisme dans ses observations de la société ; ses réflexions, en dépit d'un langage « jeune » – donc relativement « léger » – ne sont jamais puériles, et sa peine, quand elle l'exprime, est si palpable que Nola tendrait presque à prendre vie sous les lignes... Ce personnage est vivant, attachant, en couleurs, à l'inverse des coups durs qui l'appellent vers le bas. Le seul bémol – que j'ai réfléchi a posteriori – est d'ailleurs lié à cela : la combativité indéfectible de Nola aurait parfois tendance à tuer la crédibilité du personnage ou même de son histoire, mais ce fait ne dérangera que les lecteurs les plus terre-à-terre et n'a pas grande chance d'altérer pour autant le plaisir de lecture.
Enfin, cette fiction fluide et magnétique1 offre une conclusion inattendue qui finit de confirmer la réussite de ce roman...
Un bon moment de lecture