"S'il ne te reste plus de bonheur à donner..."
"...Eh bien, je me contente encore de tes tortures." Ainsi termine un poème que Lou Salomé envoie à Nietzsche en 1882. Cette phrase, adressée à la vie, résume bien l'état d'esprit de Nietzsche à la fin de son existence, lorsque cet homme plonge en quelques mois du génie créatif à la folie à partir de 1889. L'ouvrage du Dr. Podach est assez aride, elliptique, probablement destiné à un lecteur connaissant déjà bien le philosophe. Mais à travers les rapports médicaux, les lettres de Nietzche et de son entourage, il permet de donner forme humaine à cette idole désincarnée de la philosophie moderne. Un Nietzsche mesurant 1m71, mangeant de bon appétit, qui se laisse envahir par le trouble sentimental au point de se condamner lui même à la solitude, tant l'amour est dévastateur chez cet homme ultrasensible. On s'émeut lorsque l'ancien artilleur allemand, destructeur de toutes les valeurs, auteur de charges philosophiques d'une violence inouïe, tombe dans les bras de sa maman et l'embrasse en pleurant. L'intérêt du livre consiste aussi à laisser planer un doute sur la maladie de Nietzsche. Le postulat, fragile, selon lequel Nietzsche se serait réfugié de sa propre volonté dans le monde imaginaire qu'il s'était créé, est exploré sérieusement, sans qu'aucun élément tangible ne permette cependant de l'accréditer. C'est la dimension humaine et sensible de Nietzsche qui m'a plu dans ce livre qu'on n'hésitera pas à lire en diagonale. Note à l'attention de M. Gallimard, éditeur : Le cri de Munch en couverture, on aurait pu trouver plus original non ?