L'âcre parfum du scandale
Dans une œuvre érotique comme dans un téléfilm coquin, il faut un prétexte. Les aventures du prince roumain Mony Vibescu permettent à Apollinaire de déployer un arsenal pornographique d'une imagination vertigineuse. D'une crudité et d'une violence indescriptibles, le livre, très court, haletant pourrait-on dire, s'apparente à un dictionnaire abrégé des perversions. Certaines sont banales aujourd'hui et passées dans la norme (saphisme, sodomie ...), d'autres ont de quoi soulever le cœur (coprophilie, nécrophilie, pédophilie, inceste, sadisme, viol...). Il est remarquable que le livre puisse encore choquer aujourd'hui, et beaucoup ; par comparaison, les "explicit lyrics" des rappeurs américains font figure de comptines gentillettes et naïves. L'intrigue n'est certes pas d'un intérêt éblouissant, mais il est permis de douter que c'était ce que recherchaient les lecteurs qui se passaient ce petit livre sous le manteau au début du XXe siècle. On découvrira ou on redécouvrira au passage avec délectation un vocabulaire précis et fleuri ("gougnotter", "giton", "déconner" et son copain "déculer", le toujours plaisant "boutejoie", parmi tant d'autres...). Le lecteur surpris, un peu honteux, pourra donc toujours nier le voyeurisme pervers et plaider l'enrichissement lexical.