Moi j'ai compris très tôt qu'une vie, ça passe en un rien de temps, en
regardant les adultes autour de moi, si pressés, si stressés par
l'échéance, si avides de maintenant pour ne pas penser à demain...
Mais si on redoute le lendemain, c'est parce qu'on ne sait pas
construire le présent, et quand on ne sait pas construire le présent,
on se raconte qu'on le pourra demain et c'est fichu parce que demain
finit toujours par devenir aujourd'hui, vous voyez?
L'élégance du hérisson de Muriel Barbery à qui l'on doit Une Gourmandise(2000) des Éditions Gallimard est ce que je qualifie comme étant une expérience à part. Pourvu d'une histoire étonnante au résumé percutant, narrant une belle rencontre entre une femme de 54 ans et une jeune fille de 12 ans. Je dois dire avoir été très partager à la fin de ma lecture, ayant conscience d'avoir lu quelque chose de grand mais de terriblement frustrant tant il ne va pas au bout des choses. En cela, je dois reconnaître encore aujourd'hui être toujours partagé dans mon ressentie.
Le récit dévoile une atmosphère particulière avec des personnages très caractéristiques pourvues d'une pathologie distinctif et marqué. Un livre possédant une belle enveloppe tout en douceur nuancée par quelques légères frasques humoristes contre-balancées par une amertume considérablement terre à terre du conditionnement humain. Un roman sur le relationnisme, le jugement par les faux-semblants appuyé par un voyage philosophique abondant. L'histoire cristallise la complexe intrication des relations humaines par le biais des pensées de Renée et de Paloma, deux âmes différentes sur la surface mais soeurs par l'esprit, foncièrement déprimées, moroses et dégoûtées par l'humanité. Avançant secret par secret, page après page sacralisé par la bonne cachette détenue par Renée que recherche Paloma.
Renée est un personnage passionnant merveilleusement, subtilement et insolemment dépeint. Certainement la protagoniste littéraire la plus nuancée qu'il m'a été donné de lire. Pourvu d'un substrat élémentairement cartésien dont la quintessence se traduit par le coup de crayon inspiré de son auteur qui en fait une moelle bourrue à la matière grise essentielle et au coeur fondement chaleureux. Représenté comme une concierge lambda travaillant dans un hôtel particulier de grand luxe, se construisant une fausse image d'elle totalement cliché allant de son physique qu'elle considère d'ingrat, jusqu'à sa condition de pauvre et d'inculte bougresse pour consoler l'idée envers la caste supérieure de se croire au-dessus d'elle de par leur statut (ce dont ils ne se privent pas de faire), alors que Renée est infiniment plus cultivée qu'eux. Ce dont elle se fait un malin plaisir d'affermir par la résultante finale de celui qui jugera à la fin. Se confortant dans son élévation d'esprit personnelle incongrue pour la bourgeoisie.
Dieu saura lequel de nous deux s'humilie le plus.
Renée est tellement enfermé dans son rôle quelle les dupe tous, jusqu'à ses rares amies. Une véritable ode a la spiritualité philosophique d'une femme autant blessée par son passé que délivré par sa dévotion à Marx, Tolstoï et autres élévateurs de la pensée. Elle est clairement la personnalité la plus intéressante, à qui arrive le plus d'émotion, c'est bien elle qui alimente avant tout le récit. Accompagné de son fidèle gros chat Léon qui lui-même jouera une pièce de choix dans cet éventail de résonance grammaticale.
J'ai fait repli, certes, refusant le combat. Mais dans la sécurité de
mon esprit, il n'est point de défi que je ne puisse relever. Indigente
par le nom, la position et l'aspect, je suis en mon entendement une
déesse invaincue
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Paloma est une petite fille exceptionnellement intelligente et le cache à tout le monde. Réellement motivée par l'acte de se donner la mort à ses 13 ans étant donné que pour elle la vie est absurde car le monde est une répétition sans fin d'un mensonge éhonté sur la liberté alors qu'inlassablement on reproduit les mêmes actions, faisant le tour du bocal à jamais. C'est pourquoi elle refuse le bocal à poisson et préfère se suicider plutôt que d'y finir.
Les gens croient poursuivre les étoiles et ils finissent comme des
poissons rouges dans un bocal.
Une gamine attendrissante, subtilement mise en avant que l'on prend plaisir à découvrir, dont on tient qu'a rassurer devant cette négation. Elle tient un Journal du mouvement du monde dans lequel elle dépeint les rares éléments s'exilant de cette affreuse répétition, espérant y trouver le mouvement suffisamment puissant et durable capable de lui faire renoncer à se donner la mort. À côté de cela, elle se résume par des pensées profondes symbolisant la vie dans sa plus pure existence à travers seulement quelques mots.
Moi je pense à la beauté dans le monde, à ce qui peut nous élever dans
le mouvement de la vie... Si j'en trouve, alors je reconsidèrerai
peut-être les options: si je trouve un beau mouvement des corps, à
défaut d'une belle idée pour l'esprit, pêut-être alors que je penserai
que la vie vaut la peine d'être vécue.
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Les héroïnes sont séparément superbement développées, ayant chacune des chapitres bien distincts, mais il faut être honnête, la réunion de celle-ci est un loupé. Elles mettent beaucoup trop de temps à se rencontrer. Même s'il promettait par un premier échange subtil quoique bien trop attendu n'arrivant qu'à la page 305 sur 411 (ce qui est très long), le premier échange réellement marquant et essentiel entre Paloma et Renée arrive finalement à la page 338 et se traduit par une question primordiale et déterminant de la jeune fille à la concierge.
""Vous croyez que la vie à un sens?""
Cette simple question traduit toute la trame de Paloma, son mal-être, son raisonnement corrompu de la vie l'incitant à vouloir se suicider. Une condensation de noirceur posée dans une simple question absolument élémentaire, qui pourtant s'en trouve totalement occultée de réponse, passant au chapitre suivant, préférant ignorer la résultante. Un véritable blasphème envers l'arc narratif de Paloma ainsi que le lecteur. De plus, bien que mignonne, la relation entre les deux femmes est très vite passé, terriblement survolé, bâclé et peu intrinsèque à l'histoire. Un phénomène très frustrant.
Il n'y a réellement qu'une seule séquence touchante, profonde et belle entre les deux, et cela s'arrête là ce qui est très décevant. Surtout quand on sait que le récit se centre énormément sur beaucoup de détail peu utile voire anodin à l'intrigue allant jusqu'à en faire des instropection détaillés sur une centaine de pages, pour finalement se montrer frêle et dans la retenue sur le sujet principal, c'est incompréhensible. Cela amène bien entendu à beaucoup de longueur dans le récit, le plus souvent dû à une description d'instant vécu bien trop utilisé. Il faudra attendre la page 174 pour qu'il y ait enfin un peu de panache dans la trame avec l'arrivée de M. Ozu Kakuro.
Mr Ozu est clairement un personnage intéressant qui dynamise totalement le rythme du récit. Sincèrement agréable et drôle à suivre, offrant pas mal de rebondissement savoureux. Seul bémol gênant et pas des moindres, à son arrivée il écarte pas mal Paloma la rendant presque secondaire à l'intrigue. Muriel Barbery en vient même à proposer un duo magnifiquement écrit et développer entre M. Ozu et Renée, certes plaisant à lire, qui malheureusement délaisse le développement structurel entre la jeune fille et la femme mature.
Heureusement le final tient ses promesses, dans une conjoncture réellement touchante. Je n'ai pas pleuré mais je dois reconnaître que je suis resté un petit moment pensif, troublé et chagriné par cette résultante. Sur le moment ne m'attendant absolument pas à cela je me suis exprimé fortement pendant ma lecture silencieuse...
""Quoi!! WTF !!""
...pour revenir aussitôt en arrière afin de relire pour être certain de ne pas avoir mal interprété le texte, de ne pas l'avoir paraphrasé. Une fin imprévisible en adéquation avec son environnement. Une parfaite conclusion à la volonté de Paloma et à la conduite de Renée.
Pour ce qui est de l'écriture de Muriel Barbery, sa grammaire ne conviendra certainement pas à tout le monde tant elle est particulière. En effet, la lecture peut paraître pédante tant elle philosophe tout du long empruntant continuellement des thème expansif, rhétorique avec des déclamations et autres emphases usant quelques fois de mots improbables, ce contentant rarement d'être dans une conduite normale.
Clairement Muriel Barbery se fait plaisir et tient à nous faire partager sa passion envers cette philosophie de l'écrit et de l'expression qui peut quelques fois être barbante mais tellement délicieuse que cela en est un régal. Cela va jusqu'à philosopher sur des toilettes c'est pour dire. Au risque de me répéter avec tant de délicatesse et de particularité je suis troublé que la relation entre Renée et Paloma soit à ce point effacé alors qu'elle est censé être l'élément central de l'histoire.
CONCLUSION:
L'élégance du hérisson est une oeuvre troublante peu commune possédante dans ses pages une brillance de la grammaire philosophique parsemée de spiritualité, contant une histoire délicate, personnelle, intelligente mais malheureusement inabouti. Une dextérité de l'écrit signée Muriel Barbery, qui atteint l'élégance de la beauté de l'âme en proposant des personnages magnifiques, même si elle ne va pas au bout des choses avec eux. Je suis énormément partagé pour la note à dresser, oscillant fortement entre un 6 ou un 7. Aller, pour ma première critique littéraire je vais me montrer ouvert d'esprit, et puis Renée le mérite, ce sera un 7/10!
À lire au moins une fois pour les amoureux de la belle écriture.
La Civilisation, c'est la violence maîtrisée, la victoire toujours
inachevée sur l'agressivité du primate. Car primates nous fûmes,
primates nous restons, quelque camélia sur mousse dont nous apprenions
à jouir. C'est là toute la fonction de l'éducation. qu'est ce
qu'éduquer? C'est proposer inlassablement des camélias sur mousse
comme dérivatifs à la pulsion de l'espèce, parce qu'elle ne cesse
jamais et menace continuellement le fragile équilibre de la survie.