(Le lecteur soucieux de ne pas perdre son temps peut se reporter à la fin du texte pour avoir un avis court, clair et concis. Cette critique risque d'être assez longue, voire indigeste, aussi tout ceux qui auront le courage de lire jusqu'au bout auront droit à un petit tapotement affectueux sur le haut du crâne, et plus si affinités. Ah, et il y aura du spoil, mais comme on dit, ce n'est pas la destination qui importe, c'est le voyage.)
Plus de 3000 ans se sont écoulés depuis la fin du tome précédent (Les Enfants de Dune), la chute de Paul "Muad'Dib" Atréides, le Prophète, et l'avènement de son fils encore enfant au moment de son couronnement, Leto II Atréides, le Tyran. Sous son règne, les vers des sables ont finis par s'éteindre, et avec leur disparition la valeur colossale de l'Epice a atteint de nouveaux sommets. 1 million de mondes sont contraints de se plier à la loi du seul détenteur des dernières réserves de la précieuse substance, l'Empereur-Dieu, Leto lui-même. Les voyages spatiaux ne sont désormais plus accessibles qu'à une minuscule élite, et toute l'Humanité est entrée dans cette période de "petite mort" que craignait tant Paul Muad'Dib, une sombre période d'oppression religieuse, une période où les factions qui jadis régnaient en sous-main sur leurs propres empires (Bene Gesserit, Bene Tleilax) ont été pour la première fois muselées par un adversaire trop fort pour elles, une période pendant laquelle, lentement mais surement, la technologie robotique, la némésis de l'Humanité refait surface.
Le maître de cet Empire cadavérique, quand à lui, est un monstre inhumain, au sens littéral. Pour mener à bien son plan et sauver cette Humanité qu'il aime tant, Leto a consenti au sacrifice ultime : il s'est de lui-même lancé dans un processus de transformation qui à terme en fera un ver des sables. Parce que oui, Leto aime l'Humanité, de tout son coeur et de toute son âme. Paradoxal, pour un être surnommé "le Tyran" par ses propres sujets. Justement, Leto n'est QUE paradoxe. Un individu unique, disposant comme tout le monde de sa singularité, et pourtant composé d'un conglomérat de personnalités différentes. La malédiction des Atréides a en effet donné à Leto des pouvoirs incommensurables : il est le réceptacle des mémoires de tous ses ancêtres, il peut voir l'avenir et son état de ver à face humaine le rend pratiquement immortel. Mais ces pouvoirs ont un prix.
Parce qu'il porte en lui des milliers d'années d'expérience, Leto n'a jamais été un enfant, Leto connait déjà toutes les joies et les peines que l'existence peut lui proposer, Leto était déjà un vieillard quand il était encore dans le berceau.
Parce qu'il peut voir l'avenir, Leto se confronte chaque jour aux conséquences des erreurs de son père. Il faut savoir que dans l'univers de FranK Herbert, le prescient, celui qui voit l'avenir, ne se contente justement pas de voir l'avenir, il le fixe, lui donne une existence précisément parce qu'il l'a vu. Paul Atréides a entrevu la mort de l'Humanité, et parce qu'il a refusé de faire ce qui s'imposait pour l'empêcher, il a condamné son fils à devenir le sauveur qu'il n'a pas voulu être, et indirectement, l'a condamné à se transformer en la seule chose qui puisse aller contre la parole d'un Prophète : Dieu.
Enfin Leto est immortel, donc il a vu tous ceux qu'il aimaient mourir les uns après les autres. Surtout il ne sait pas faire autrement. Trois mille ans de deuils ne l'ont pas désensibilisé, au contraire. Il faut voir l'affection tout à fait explicite qu'il porte à son majordome Moneo. Et c'est là son seul vrai point faible.
Immortel, quasi-omniscient, fort de millénaires d'intrigues et de ruses, rien ne semble pouvoir terrassé l'Empereur. Ou presque. Ses ennemis ont fini par le comprendre, le seul moyen de tuer Leto est de lui donner envie de sortir du seul état qu'il ait connu depuis la mort de sa soeur, 3000 ans auparavant. Ils vont donc créer, fabriquer de toutes pièces, une personne capable de comprendre d'accepter et d'aimer l'entité la plus terrifiante de la Galaxie. Une jeune femme qui réussira là où tous les autres ont échoué. Une jeune femme qui provoquera la fin de l'Empereur, mais qui assurera la réussite de son plan.
L'Empereur-Dieu de Dune est le tome le plus intime, le plus humain de la saga d'Herbert. C'est aussi le plus lent, mais c'est normal, nous ne sommes plus dans l'agitation politique du début du règne des Atréides, et pas encore dans la course contre le temps échevelée de l'Apocalypse imminente (enfin, façon de parler). Des trois personnages majeurs du cycle, Leto II Atréides est certainement le plus étrange, mais aussi le plus touchant, voire parfois le plus drôle. Il est le vrai Héros de ces livres, le seul des trois (vous connaissez le nom du premier, je garde le nom du troisième si jamais vous n'avez pas encore lu cette saga et que ma superbe prose vous a convaincu de le faire) à se sacrifier volontairement pour le bien de tous. Le point de bascule de cette chronique familiale mérite le détour, on ne le dira jamais assez.
Bref, chose promise, chose dûe, lecteurs un brin fainéants : L'Empereur Dieu de Dune, ça déchire sa race.