J'avais vaguement entendu parler de Jean Ziegler précédemment pour ses essais traitant de son pays d'origine : la Suisse. Et notamment des deux points qui entachent cette nation au cœur de l'Europe : à savoir sa propension à blanchir l'argent sale et son enrichissement économique qui s'est effectué au détriment des Juifs détroussés par les criminels nazis. On peut se dire que c'est de l'histoire ancienne, on a le droit de penser que ce genre de crime ne pourra plus jamais se reproduire, mais sous le couvert de la Banque Mondiale et du FMI, avec une ONU impuissante en moyens et en volonté politiques, de nouveaux crimes sont en cours.

Jean Ziegler occupe le poste de rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation. À ce titre, il a pu observer bien des « excès » de la mondialisation néolibérale. Son essai intitulé « L'empire de la honte » est un cri du cœur visant à dénoncer cette violence des plus riches sur les plus pauvres au travers de ces deux armes de destruction massive que si peu combattent et qui s'appellent la dette et la faim.

Qu'est-ce que l'empire de la honte ? Pour Jean Ziegler, c'est dans la prise de conscience de leur infériorité que les hommes éprouvent la honte. La honte de gagner si mal sa vie qu'on ne peut nourrir sa propre famille. La honte à la vue de ces enfants affamés alors qu'on sait maintenant qu'on pourrait subvenir aux besoins de la terre entière. La honte aujourd'hui pour nos compatriotes de la Réunion mourant d'un mal qu'on a sous-estimé et pour lesquels on va développer un vaccin, alors que quelques centaines de kilomètres plus à l'ouest des millions d'êtres humains meurent de la malaria qu'on sait parfaitement soigner, mais ces humains-là, ne relevant pas de ma nation, perdent de fait le droit à l'assistance et à l'aide qu'on doit leur offrir. La honte, enfin, pour nous de vivre dans une société riche qui réparti si mal ses richesses et qui est responsable de tant de malheurs de par le monde.

Dans cet essai, Jean Ziegler commence par nous parler de Benjamin Franklin et aussi des révolutionnaires de 1789 tels Babeuf et Saint-Just qui prenaient le droit au bonheur et à la justice sociale. « La liberté ne peut s'exercer que par des hommes à l'abri du besoin » dira Saint-Just. Où sont passées ces belles idées ? En maintenant des peuples entiers dans le besoin par la faim où la pression inacceptable de la dette, c'est un colonialisme ignoble qui refait surface.

On a, avec le temps, appris à créer la pénurie, la rareté et ainsi exclure un grand nombre d'humains de leurs droits élémentaires car ils auront le malheur d'être pauvres, d'avoir été appauvri ou de naître dans un pays impitoyablement asservi par nos riches nations. Demain, avec les OGM, par exemple, nous pourrons faire bien pire. Ainsi 122 pays du tiers-monde concentrent 85 % de la population mondiale mais ne représentent que 25 % du commerce international. De même, 1% des habitants les plus riches cumulent à eux seuls l'argent des 57% les plus pauvres. Et je vous épargne les statistiques sur l'analphabétisme, les maladies bénignes qui tuent encore, la problématique de l'eau, des guerres et toutes ces choses qui chez nous n'existent plus et pourtant font encore dans le monde des milliers de victimes chaque jour.

Sommes-nous des bourreaux simplement car nous vivons dans des pays riches ? Là n'est pas le propos de Ziegler. Mais nos nations sont responsables en grande partie de tout cela. Sans parler du couplet anticolonialiste, les exemples de Ziegler sont saisissants, tels ceux de la famine éthiopienne et de la dette odieuse du Rwanda.

Des régions d'Ethiopie produisent assez de nourriture pour elles-mêmes et il suffirait d'avoir des camions et du carburant pour transporter les excédents aux régions qui subissent des famines endémiques, mais cela ne se fait pas. Pourquoi ? Car l'Ethiopie ne peut le faire seule et l'aide internationale n'est pas mobilisée pour cela. En effet, nos Etats préfèrent exporter nos excédents agricoles afin de conserver le soutien de leurs agriculteurs – généralement bien servis par nos quotas et subventions. Ainsi, nos excédents parviennent généralement trop tard sur place avec d'énormes pertes tant pendant le transport que par les divers prélèvements des milices locales se trouvant sur le parcours. Et pendant ce temps-là, les excédents éthiopiens pourrissent sur place...

La dette odieuse du Rwanda – mais toutes ces dettes sont odieuses – est un exemple saisissant de l'horreur capitaliste qui dirige nos organisations internationales. Ainsi, lors de l'effroyable génocide qu'a connu le pays, près de 500.000 machettes chinoises ont été livrées aux génocidaires sur crédit internationaux garantis par des établissements financiers occidentaux - dont notre Crédit Lyonnais qui sait toujours nous amuser avec ses publicités hilarantes, mais si amères pour ceux qui connaissent un peu l'histoire et les dérapages de cette officine... - Une fois la paix revenue, les victimes prendront les rênes du pouvoir et devront reconstruire le pays. Pour cela, ils vont demander l'aide de la Banque Mondiale. Mais les fonds de cette dernière ne sont généralement mis à disposition qu'avec l'accord du FMI. Or, il se trouve que nos amis de LCL veulent être remboursés de leurs crédits et le FMI, bien sûr, va conditionner l'aide internationale au Rwanda au règlement de cette dette odieuse par les dirigeants qui furent les victimes de ces armes...

Personnellement je n'ai pas trouvé beaucoup de choses nouvelles dans cet ouvrage, car je suis déjà, de par mon engagement associatif, au fait des situations décrites et des limites des organismes internationaux qui, pour vertueux et qu'il pouvait être au moment de leur fondation, n'en sont pas moins devenues les moyens d'une oppression qui met des peuples entiers à genoux. Cependant, si vous ne connaissez pas les enjeux internationaux, les rôles et les limites de ces organisations que sont l'ONU, la banque mondiale et le relais libéral qu'est le FMI, je ne puis que vivement recommander la lecture de cet essai. Bien sûr, c'est une dénonciation qui peut sembler facile, mais il faut dénoncer les choses un jour ou l'autre pour ne pas avoir à en subir les conséquences dans l'avenir. La survie de l'humanité passe par la résistance au néolibéralisme et à sa volonté d'asservir les hommes aux intérêts d'un animal sans âme qui s'appelle l'économie. Un essai vital.
Bobkill
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le 3 janv. 2011

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