Arrivé à la fin de cette tétralogie d’environ deux mille pages, le sentiment d’abandon est intense… Un pincement au cœur, comme celui ressenti lorsque l’on est contraint de quitter des êtres chers. Car au gré de ces quatre tomes, Elena, Lila et les autres sont devenus des membres de notre famille. On les a vus grandir, rêver, se briser sur la dure réalité de la vie, mais aussi triompher de l’adversité. En un mot, on les a vus vivre soixante ans durant.
Dans ce dernier volume, l’ambitieuse Elena vit pleinement sa passion avec Nino avant de redescendre sur terre et de faire face à la réalité. Lila, quant à elle, est toujours à Naples, brillant dans l’informatique sans s’épanouir pour autant. Lorsqu’Elena revient s’installer dans la ville de son enfance, les deux femmes se rapprochent, tout comme leurs enfants. De beaux moments d’amitié, de solidarité, mais aussi de reproches, voire de violence, sont dépeints sous la plume simple, mais précise, de Ferrante. Un des points d’orgue de l’ouvrage est peut-être la description du tremblement de terre qui, en 1980, secoua la cité napolitaine. Suite à cet événement, Lila se livre comme elle ne l’avait jamais fait auparavant. On arrive alors à percevoir le poids de son insatisfaction chronique, qui la cloue au sol alors que son amie la considère comme une femme prodigieuse. Un sentiment qui ne la quittera jamais…
Malgré les quelques longueurs qui émaillent ces quatre tomes – notamment les multiples apparitions de Nino, tout âge confondu – , L’Amie prodigieuse est une réussite. Elena et Lila, ces deux femmes à l’amitié si forte qu’elle fait parfois mal, nous entraînent dans les remous de soixante ans de vie, soixante ans de société italienne et plus particulièrement napolitaine, soixante ans qui ont compté dans l’émancipation des femmes et de la classe populaire. Car ces quatre tomes sont tout à la fois une incursion dans la psyché d’une femme – Elena, la narratrice –, mais aussi dans l’Italie des années 1950 à aujourd’hui. L’entrelacs subtil de ces deux histoires donne toute la chair nécessaire aux divers personnages qui habitent la saga napolitaine de l’écrivaine. Et c’est pour cela qu’il est si difficile de les quitter, ces amies prodigieuses.
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