Cinéaste du lien et de l’attachement, Hirokazu Kore-eda revient une septième fois à Cannes avec un portrait de famille très tendre, à la mise en scène discrète mais efficace. Le revoici donc dans son élément après un passage par le film de procès, The Third Murder, sorti il y a à peine quelques mois.
Éloge des déclassés
Avec ce nouveau long métrage, le japonais Kore-eda nous plonge dans le quotidien d’une famille recomposée pas comme les autres. Alors qu’il rentre d’une de ses séances de vol à l’étalage, Osamu tombe sur Yuri, frêle petite fille apeurée, qui semble avoir été battue. Il la ramène à la maison, déjà bien remplie : y vivent femme, grand-mère, jeune fille et préadolescent. Si au départ les liens qui unissent ces personnages sont assez flous, cela n’a guère d’importance. L’amour qu’ils se portent les uns aux autres transparaît à chaque plan, laissant entrevoir leur réel attachement. Regroupés dans une maison aux allures de squat, les membres de cette famille sont des laissés pour compte, des exclus qui vivent en marge de la société et font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir. Osamu amène régulièrement le jeune Shota, toujours suivi de Yuri, dans les magasins où ils volent le nécessaire dont ils manquent. Aki, la jeune femme de la maisonnée, vend ses charmes à des hommes en mal de chaleur humaine, cachée derrière une vitre. Nobuyo, la compagne d’Osamu, travaille dans une blanchisserie où elle chaparde pendant que l’espiègle mamie fait tourner la maison à l’aide de petites combines. Point de misérabilisme pour autant, Kore-eda rend en quelque sorte hommage à ces pauvres hères qui semblent plus heureux que les quelques représentants de la famille japonaise classique croisés dans le film. Toute cette première partie, où la part belle est faite à la force des liens qui peuvent unir des personnes quelle que soit leur parenté est d’une délicatesse infinie. Elle se conclut par une séquence magnifique, point d’orgue du film, où toute la petite famille recomposée se rend à la plage profiter d’une belle journée d’été.
Faire famille
Si Hirokazu Kore-eda semblait jusque-là livrer le portrait d’une famille recomposée quasi parfaite, la deuxième partie du film gagne en profondeur (et en noirceur) : cette famille n’est pas tout à fait celle que l’on croit. Il est rapidement clair que Yuri n’est pas une orpheline des rues et qu’elle est activement recherchée par la police ; il n’en reste pas moins que la voir aimée et renaître à la vie dans sa famille de substitution questionne les liens : qu’est-ce qui fait une famille ? Les liens du sang sont-ils, finalement, plus importants que le réel attachement ? Autant de questions clés du cinéma du Japonais. Souvenons-nous par exemple du sensible Tel père, tel fils, prix du jury à Cannes en 2013. Hormis la situation de Yuri donc, qui ne fait aucun doute, celle des autres personnages est révélée au fur et à mesure. Et comme on le pressentait, cette famille s’avère constituée de personnes isolées qui se sont trouvées. Seules Aki et mamie ont une part d’ADN en commun. Nobuyo et Osamu ont une histoire chargée, quant à Shota c’est un enfant des rues qui remet de plus en plus en question le chapardage de "son père". Une remise en cause qui va l’amener, plus ou moins consciemment, à signer la fin de la parenthèse enchantée que constitue la première partie du film… pour repartir sur de nouvelles bases.
Touchant toujours juste, Kore-eda offre une fois encore un beau film sensible, qui mérite tout à fait sa palme.
Publication originale sur likeinthemoviesblog.wordpress.com