"…et comme elle m'a tenu la main tout le temps, j'ai gardé l'odeur de ses gants."
Eduardo Barrios, classé parmi les naturalistes, est surtout un magnifique équilibre entre la tradition créoliste et les imaginistes chiliens. Les multiples expériences de son existence (journaliste, officier, directeur de théâtre, saltimbanque, trafiquant, directeur de musée, marchand, ministre de l'Education Nationale…) féconderont une oeuvre considérable, mal connue en France. Cet ouvrage, L'enfant qui devint fou d'amour, contient deux superbes nouvelles en miroir, saisissantes de fluidité, où Barrios joue à sonder les âmes sur le thème de l'amour empêché. Que ce soit dans un journal intime d'enfant ou par le biais d'une correspondance, Barrios oppose un monde intérieur forgé de passions exacerbées, frustrées, s'enroulant sur elles-mêmes, jusqu'à la folie pour l'enfant, jusqu'à l'absurde pour le jeune José si laid, au monde extérieur, socialement, cruellement et implacablement normé.
Richesses et tourments de l'âme contre déterminisme socio-économique sont une trame omniprésente dans l'oeuvre de Barrios : il la tissera avec une pureté de style, une pudeur et une connaissance des ressorts de l'âme inouïes.
Le pauvre José me fait beaucoup de peine. Surtout, il y a dans sa vie quelque chose qui fend le cœur : sa terrible et juste absence d'espoir. Il n'est ni un songe creux ni un imbécile, il sait que son existence suivra un parcours sombre et odieux, alors que l'amour est la loi suprême de la vie, la seule chose qui soit irremplaçable.