Excellente lecture, ponctuée de nombreux moments d'illumination, et qui m'a apporté un regard neuf sur les rapports de domination entre les différents groupes sociaux (et pas seulement les rapports hommes-femmes).
Christine Delphy est chercheuse en sociologie et une grande théoricienne féministe. Elle a publié deux livres intitulés L'Ennemi principal (dont celui-ci est le tome 2) qui regroupent plusieurs de ses articles écrits entre 1975 et 2000. C'est une matérialiste convaincue, ce qui veut dire en gros qu'elle est à l'opposé des théories du type « les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus ». Les groupes sociaux (hommes/femmes, Blancs/Noirs, etc) ne sont pas des catégories biologiques prédéterminées, mais découlent des rapports de domination, et non l'inverse. Elle réfute l'idée d'une nature humaine originelle qui ne serait pas sociale, et démonte beaucoup de postulats sur les comportements « naturels » des hommes et des femmes qui sont rarement remis en cause, même aujourd'hui (17 ans après la publication de ces livres !).
L'auteure est une théoricienne mais ne délaisse pas les sujets concrets. Ses textes parlent de marxisme (et de la définition première du terme) et de différentialisme, mais aussi de droits des enfants, de travail ménager et de la politique familiale du gouvernement français. Elle explique comment la recherche théorique et le militantisme se nourrissent l'une de l'autre, critique l'entre-soi universitaire. Elle montre la profonde différence d'idéologie entre les courants féministes selon qu'ils militent pour l'équivalence, l'équité ou l'égalité (Delphy est évidemment en faveur de l'égalité).
Malgré la profondeur des analyses de Delphy et le niveau d'abstraction de ses réflexions, j'ai trouvé la lecture de ce recueil d'articles plutôt facile et agréable. D'abord parce que l'auteure emploie très peu de mots compliqués, et qu'elle donne une définition des concepts nécessaires à la compréhension de ses propos. Ensuite parce qu'elle est très rigoureuse dans ses explications et ne fait pas d'ellipse de raisonnement ; elle ne balance jamais un argument sans avoir examiné les autres positions possibles et démontré qu'elles n'étaient pas tenables. En bref, avec Delphy on ne survole pas des idées vagues et de beaux principes, on va au bout des sujets avec honnêteté et sans branlette intellectuelle.
À lire si vous pensez que le sexe devrait n'être « qu'une différence physique parmi d'autres », ou si vous vous demandez ce que Marx peut apporter au féminisme.
Le résumé pour les feignant·e·s et les pressé·e·s c'est par ici.