L'Envers du vent est un roman de Milorad Pavic publié en 1991. Comme souvent avec l'auteur Serbe, il s'agit d'un livre « à concept » qui bénéficie d'une composition particulière. Reprenant de façon libre le mythe grec de Héro et Léandre, il est composé de deux courts romans en miroir, que l'on peut lire dans l'ordre que l'on veut, l'édition étant inversée, s'achevant tous les deux à peu près à la moitié du livre sur deux belles pages entièrement teintes en bleu comme le détroit qui sépare les deux personnages et dans lequel l'homme vient à tragiquement se noyer.
Le roman dit de Léandre se déroule au XVIIe siècle. Léandre est un jeune maçon du Danube, d'une petite communauté orientale ressemblant aux cathares, qui aura l'occasion en évitant tour à tour l'armée autrichienne et l'armée turque qui se livrent à une guerre sans merci de bâtir de petites églises. Façonnant le monde comme une sorte de rêve plastique, il devra accomplir son destin en luttant contre la malédiction qui veut que son cou de cygne soit un jour le trophée d'un sabreur. Le roman de Héro se passe durant le premier XXe siècle. La jeune femme, étudiante en chimie, est prise d'une étrange affliction temporelle alors qu'on la voit avancer vers sa mort violente qui doit se dérouler à midi cinq et résoudre l'étrange relation qui la lie à son frère, une sorte de métaphysicien néoplatonicien de la musique. Parcourir ces deux romans sera l'occasion d'essayer de démêler un jeu de miroir et d'écho complexe entre ces deux figures qui semblent aspirées l'une par l'autre à travers le temps, vers la mer centrale et temporelle du roman.
L'Envers du vent est, comme souvent avec Milorad Pavic, un roman compliqué, voire cryptique, mais fascinant. On retrouve toujours dans ses écrits ce goût pour un surnaturel admis, normalisé, convoquant abondamment la tradition et le goût orthodoxes pour la légende, qui fait signe également vers les entreprises littéraires du réalisme magique et du post-modernisme. La littérature du Serbe a quelque chose du renouveau de la mystique byzantine qui confère toujours à ses œuvres, même les plus insaisissables de prime abord, un caractère profond et fascinant, mystérieux et lourd de sens, un appel au rêve mais à un rêve difficile, exigeant, aguicheur car pittoresque mais chargé de la maturation de tout un fond culturel de rencontres inter-civilisationnelles et d'érudition patiente.
J'ai beaucoup aimé comme d'habitude avec Milorad Pavic. Pour autant, je ne suis pas certain d'avoir tout saisi, mais ce n'est pas grave. Je repars avec de nouvelles références plein la besace, et des morceaux de bravoure comme l'auteur en a le secret : je pense pêle-mêle à la magnifique ekphrasis de la construction d'un violon, à un cours de grammaire fantastique sur la linguistique du rêve, à une peinture séquentielle des sabreurs légendaires venant tuer Léandre, à une des descriptions de repas les plus appétissantes que j'ai eu l'occasion de lire.
Merci.