C'est avec une certaine satisfaction que je me suis lancé dans le second recueil de nouvelles des péripéties de Geralt de Riv, tant le personnage et son univers m'avaient interpellé dans "Le Dernier voeu". "L'épée de Providence" reprend les mêmes formules que son prédécesseur en les approfondissant. Ainsi, Geralt ressemble de moins en moins au tueur froid et calculateur qu'il prétend être. Sans cesse tiraillé par sa conscience et une sensibilité à fleur de peau, le sorceleur teint chaque rencontre des nuances douloureuses de son âme, en parfait accord avec le monde non-manichéen dépeint par Sapkowski. Les nombreux protagonistes rencontrés au fil des pages détournent assez souvent les stéréotypes que le lecteur blasé croit déceler même si, il faut l'avouer, cette tendance n'est pas assez radicale pour entamer une révolution en fantasy. Le lecteur fidèle à la saga comprendra en effet rapidement le principe: les monstres sont rarement ceux que l'on croit et les créatures qui hantent le monde médiéval de Sapkowski sont souvent plus à plaindre qu'à fuir.

La régularité de cette ritournelle deviendrait presque monotone... si le récit ne nous invitait pas de plus en plus intimement dans les pensées de Geralt. Tragique et en partie insaisissable, notre guerrier-magicien ne cesse de fuir un destin qui risquerait de donner un sens à sa vie. Résigné, Geralt préfère tenter de venir en aide aux êtres les plus amochés qu'il rencontre, à défaut de pouvoir s'aider lui-même. Il en vient dès lors à considérer toutes ses actions comme faisant partie de son travail, et réfute toutes les allégations qui lui prêtent des sentiments nobles. Non, Geralt n'est qu'un mutant solitaire, travaillant du mieux qu'il peut en attendant la fin. La sienne, et peut-être celle du monde ! Mais il ne s'agit pas d'une apocalypse habituelle de Fantasy, avec un grand méchant millénaire qui va bientôt se réveiller comme l'annonce la prophétie connue même des clodos du coin. Non, la fin, s'il doit y en avoir une, sera lente et déliquescente, une fin humaine très réelle qui ressemble étrangement à celle que l'humanité actuelle est en train de connaitre, à base de haine raciale, de destruction de la biosphère, de perte du respect, etc.

Ces multiples éléments sont très souvent analysés par un Géralt mélancolique, torturé, voire dépressif dans lequel les plus angoissés d'entre nous pourrons très facilement se retrouver, d'autant que le personnage n'est pas dépourvu d'un certain humour particulièrement cynique à l'origine de très bonnes joutes verbales. Quoi qu'il en soit, la véritable originalité de ces récits est dès lors de nous présenter un personnage très puissant... qui refuse pourtant souvent d'accomplir les exploits qu'on attend de lui (autrement dit le "défouraillage" de monstruosités de tout poil) au profit d'une attitude plus passive, davantage basée sur la défense et la réflexion. Cela donne aux nouvelles de très nombreuses occasions de dialogues, la plupart du temps très bien écrits mais, hélas, un peu trop nombreux. L'équilibre idéal que Sapkowski avait atteint dans "Le dernier voeu" est souvent rompu dans "L'épée de Providence". Sans compter que la touche philosophique qui parcourt l'ensemble de l'oeuvre est parfois maladroitement exprimée. Je pense notamment à cette désagréable habitude qui consiste à répéter d'innombrables fois le concept-clé de chaque nouvelle, qui n'est autre que le titre. Le pire exemple réside dans l'histoire "Les limites du possible" où presque tous les personnages utilisent cette expression pour parler de tout et de rien, jusqu'à presque la vider de sa substance.

Comme pour pallier à cette relative lourdeur thématique, certaines pages rattrapent largement le coup en devenant des odes à la mort et à l'amour, des véritables petites perles lovées dans des passages poétiques qui sonnent justes. A cet égard, les nouvelles nommées "Une once d'abnégation" et "Quelque chose de plus" méritent à elles seules la lecture du livre.

Je continuerai donc à suivre Geralt à travers les cinq romans, cette fois, qui suivent chronologiquement sa saga. En dépit d'un rythme un peu trop lancinant, les quelques moments d'émotion pure que j'ai glanés durant ma lecture me laissent une forte impression que je ne suis pas prêt d'oublier. Et ce, même si la construction du récit, à la fois simple et emmêlée, ne permet pas toujours de comprendre précisément où l'auteur veut en venir. Appelons cela un "flou artistique". Pour l'instant.
Amrit
7
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le 30 avr. 2012

Modifiée

le 23 sept. 2012

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Amrit

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