Les croisades. Le sujet de discorde ultime soumis au contrôle de la pensée post-moderne. Prend garde à toi cher lecteur, car tu ne seras pas libre de ton opinion après avoir lu cet ouvrage ou n'importe quel autre sur ce thème. Sache qu'il n'y a qu'un seul bon camps à choisir et que tout élan d'affection, ou pire encore, d'admiration pour Godefroy de Bouillon, Saint Louis ou Richard Cœur de Lion est puni d'anathèmes sévères tels que : racistes, islamophobes, falsificateurs, colonisateurs fascistes, obscurantistes, réac', violeurs et pillards... Je te déconseille donc d'aborder ce sujet en soirée sous l'angle croisé notamment si tu veux paraître cool auprès de tes amis. Aujourd'hui être cool, c'est être l'autre. Qui c'est l'autre ? Je ne sais pas, mais sûrement pas toi jeune caucasien catholique mâle aux yeux bleus passionné d'histoire de France.


Il faut avouer que dans l'ensemble de l'histoire Occidentale (hors XXe siècle et ses exploits), les croisades est l'un des rares sujets où la question de l'ethnocentrisme revient systématiquement sur le tapis dans la bouche du quidam (qui souvent n'y connait absolument que dalle). C'est vrai quoi, on ne parle jamais de l'orientation idéologique des historiens français lorsqu'on évoque Louis XIV. On ne parle jamais du regard de l'Europe sur sa propre histoire lorsqu'on lit un ouvrage sur la Révolution Française. On ne remet pas systématiquement en question les historiens français ou occidentaux lorsqu'on aborde le règne de Charlemagne ou l'incroyable richesse de la Grèce antique. Par contre, un historien français ou européen qui traite des croisades de la fin du XIe siècle, jusqu'au milieu du XIIIe siècle, vois-tu, c'est suspect. Il y a mensonge, manipulation et ethnocentrisme. Forcément, parce qu'un arabe, un musulman c'est ontologiquement gentil. C'est dans ses gènes la gentillesse, le partage, la douceur de vivre et la tolérance. Naturellement, les croisades franques en terre d'islam sont forcément à charge des chrétiens spécifiquement violents, intolérants et barbares. Je ne fais pas une crise de paranoïa aiguë, le constat est troublant. N'aborde pas la croisade qui veut. D'autant plus lorsqu'on s'aperçoit du succès de librairie d'ouvrages tels que Les croisades vues par les arabes qui soudainement permettent au commun des mortels d'accéder à la vérité vraie véridique en pourfendant les mensonges chrétiens.


Pourtant dans ce délire insupportable de haine de soi que l'actualité m'inflige au quotidien, il y a bien UNE chose que je ne comprends pas. Les croisades ne sont en aucun cas une conquête de territoires mais bel et bien une reconquête de régions anciennement chrétiennes/juives et passées sous le joug de l'islam à partir du VIIe siècle. Mais si les croisades ne commencent pas au VIIe siècle avec la conquête de Jérusalem par les Arabes, c'est très précisément parce que l'islam n'était, dans l'absolu, pas un problème du moment que la protection des lieux saints chrétiens était assurée par les califes musulmans. Dès lors, les pèlerins chrétiens pouvaient se rendre à loisir en Terre Sainte grâce à des autorisations de passage. Au XIe siècle, la destruction des églises, le contrôle total de la ville de Jérusalem par les musulmans et l'interdiction de pèlerinage seront les déclencheurs de la première croisade en 1099. Il faut bien comprendre que les croisades sont une réaction et non une action à l'encontre du monde musulman. De fait, je ne comprends pas pourquoi la balance penche t-elle si fortement à l'encontre des croisés. Si l'on se remet dans le contexte, il est impensable à cette époque de ne pas réagir à un tel sacrilège. D'un point de vue Biblique, Jérusalem est la terre du Christ, le berceau du christianisme et du judaïsme, ce n'est pas le Cap d'Agde ! Comment aurait-il pu réagir autrement ? Le tabou des croisades et sa connotation très péjorative est, à mon sens, incompréhensible.


Pour en revenir à L'épopée des croisades, je tiens à souligner en premier lieu la qualité d'écriture et la clarté épatante des propos de René Grousset, historien et académicien de renom. Ce qu'il concentre et explique en 320 pages est époustouflant. Grand spécialiste de l'Orient, l'auteur ne prend pas le parti des croisés comme s'il souhaitait secrètement lancer la neuvième croisade en 1936. Pure connerie d'encarté au PCF, l'auteur démontre au cours de l'ouvrage une sympathie et une admiration équilibrée pour les deux camps. La seule différence que l'on ressent à la lecture du livre (et c'est normal en fait), c'est qu'il raconte les croisades du point de vue des croisés. Ils sont donc le moteur de l'action et des faits dans une majorité des cas même s'il est important de noter que Grousset s'appuie également sur des sources Arabes et Turcs pour illustrer son propos :



Quelques fanatiques demandaient encore à Saladin, pour abolir le pèlerinage chrétien, de raser le Saint-Sépulcre. Il les arrêta d'un mot : "Pourquoi raser et détruire, alors que le but de leur adoration est l'emplacement de la Croix et du Sépulcre et non pas l'édifice extérieur ? Imitons les premiers conquérants musulmans qui ont respecté ces églises." p.203



Ou encore :



Son chevaleresque adversaire, le sultan Saladin qui unissait, lui aussi, à la gloire des armes la mérite d'avoir (et depuis longtemps) favorisé cette détente, avait dû se contenter également d'un demi-succès. [...] Il est vrai aussi que sa générosité, son humanité profonde, sa piété musulmane sans fanatisme, cette fleur de libéralisme et de courtoisie qui ont émerveillé nos vieux chroniqueurs, ne lui valaient pas dans la Syrie franque une moindre popularité qu'en terre d'Islam. En le fréquentant dans les circonstances les plus tragiques où l'homme se montre tout entier, les Francs avaient appris que la civilisation musulmane peut, elle aussi, produire des types d'humanité vraiment supérieurs, de même que les Musulmans, un peu plus tard, devaient avoir une révélation analogue de la civilisation chrétienne en fréquentant Saint Louis. p.228



Quelle démonstration haineuse à l'égard des barbares musulmans. Une impartialité indigne d'un historien, ce livre est une véritable ode au christianisme ! Des extraits comme ci-dessus, il y a en des pages entières. Bien évidemment que l'auteur fait la même chose dans le camps chrétien, et alors ? Qu'est ce que ça peut foutre ? Pourquoi n'aurait-on pas le droit d'être admiratif devant le sens politique aiguisé de Baudouin IV de Jérusalem, dit le roi Lépreux, mort à 24 ans de la dite maladie ? Pourquoi ne pourrait-on pas paisiblement apprécier la bravoure de Richard Cœur de Lion ou l'habileté diplomatique de Saint Louis ? Ensuite, autre mise au point qui commence à me chatouiller : "Les croisades c'est caca parce que les chrétiens étaient violents et tuaient tout le monde." Faux. Il est évident qu'il y eut des violences car ils ne partaient pas là-bas pour claquer des bises mais nombreux furent les croisés qui agirent avec respect et sans usage systématique de la violence. Maintenir la paix avec les voisins musulmans était capital. De plus, la guerre n'est pas l'apanage des occidentaux. La barbarie des combats, les pillages lors des conquêtes sont à la charge des deux camps.


Enfin, René Grousset explique avec justesse que les croisades n'étaient pas non plus l'opposition simpliste de deux camps bien distincts séparés par la seule barrière de la religion et/ou de la culture. Dès le début du XIIe siècle, quelques années seulement après le lancement de la première croisade, des alliances se nouent entre Chrétiens et Égyptiens, Byzantins et Turcs, Byzantins et Chrétiens, Égyptiens et Turcs voire même Chrétiens et Mongols (100% no joke)... Ces alliances temporaires servaient l'intérêt des uns, puis des autres dans des conflits complexes où l'intérêt géo-stratégique pouvait primer sur le fait religieux. Celle-ci n'est pas l'alpha et l'oméga des batailles menés en Orient. Très rapidement des intérêts particuliers vont naître de l'installation des Francs en Syrie. Franchement, les croisades c'est un peu du Game of Thrones : complots, assassinats, conquête de cités et sièges (Jérusalem, Antioche, Tyr, Alep, Caire etc), trahison (Frédéric II)... Bref, on s'éclate sauf qu'il ne s'agit pas d'un roman !


Pour résumer, à mon sens L'épopée des croisades n'usurpe pas son titre d'ouvrage de référence. Tout y est, du prêche d'Urbain II, en passant par le règne de Baudouin III ou celui de Guy de Lusignan jusqu'à l'anarchie franque du milieu du XIIIe siècle. Tout est évoqué avec justesse. L'auteur parvient à concentrer les nombreuses informations (dates, noms et lieux) sans lourdeur grâce à une plume d'exception qui fait honneur à son titre d'académicien. Il ne s'agit pas d'une hagiographie des croisades car il ne faut pas oublier que René Grousset est un historien spécialiste de l'Orient qui a écrit des livres tels que L'Empire des Steppes ou L'Âme de l'Iran. Très certainement des livres sérieux qui démontrent la passion de l'auteur pour son sujet d'étude. Alors pourquoi dans sa fameuse épopée des croisades ferait-il un pamphlet contre les hérétiques ? C'est du délire grand-guignolesque et de l'ignorance crasse qui montre à quel point notre civilisation va mal. Depuis que nous avons tué Dieu et que nous avons prêté serment d'allégeance à l'ultra consommation, notre seul désir c'est de crever. Une telle haine de soi, relève sincèrement d'un problème psychanalytique de masse. Ceci dit, je recommande chaudement cet ouvrage, au moins pour ce faire une idée sur la question.

silaxe
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le 28 avr. 2016

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