Boris Strougatski peut bien écrire toutes les postfaces qu'il veut afin de nuancer la lecture que l'on peut faire du roman, il est clairement impossible de ne pas faire de lien entre la situation qui y est décrite et les deux blocs qui se sont opposés pendant des dizaines d'années.

Dans ce roman, les frères Strougatski nous exposent, dans un style autrement plus difficile à appréhender que les autres romans que j'ai lus d'eux, deux mondes que tout oppose mais qui se ressemblent dans leurs différences.

D’un côté la forêt, pétrie de traditions séculaires et de mythes transmis oralement entre les hommes dans un seul but, conserver un immobilisme parfait. Puisqu'il ne faut rien changer, tous les habitants se demandent bien pourquoi Candide essaye à tout prix de rejoindre la ville, sorte d'eldorado éthéré (est-ce l'administration ?). Tous essaient de l'en dissuader par une absurdité constante, des conversations des croyances et des situations. Un monde en vase clos, refermé sur lui-même et survivant dans la crainte des autres.

De l'autre côté, l’administration où l'uniformité de comportement et de pensée est obligatoire, sauf qu'on découvre que tous les personnages y sont extraordinaires, ils sont tous uniques dans leur individualité mais respectent et semblent tous comprendre l'absurdité des règles imposées par le directeur. Le seul qui fait tâche c'est Poivre, son schéma de pensée, on s'en rend compte par rapport à ses réactions face à ses camarades, est identique aux autres. Il ne se pose pas particulièrement plus de question que les autres, il n'enfreint pas non plus vraiment les règles, mais il détonne car il a un but personnel, il veut voir la forêt.

Ainsi donc, malgré des environnements extrêmement différents, les deux héros vont modeler leur comportement de la même manière. Poivre & Candide naviguent entre incompréhension et rébellion, ils finissent par adopter une ligne de conduite, quelle soit voulue ou pas, identique, essayer de contrarier le moins possible leurs comparses afin d'arriver à leur but. Il y a tout de même une différence notable, Poivre de l'administration réoriente son but (aller en forêt) puisqu'il n'y arrive pas face à l'administration, c'est finalement son destin qui va le retrouver. Alors que Candide, sans force "supérieure", dirigeante, continue de chercher la ville.

Je ne dévoilerai pas la fin qui en deux chapitres nous en dit un peu plus sur le destin des deux entités Forêt et Administration et des protagonistes principaux. Cela dit, ne vous attendez pas, comme je l'ai cru à mes dépends, à une révélation claire et nette qui permet de comprendre les 250 pages que vous venez de lire. Les frères Strougatski laissent au lecteur la liberté de choisir son interprétation.

On ne peut donc y voir directement une transposition de l'Est et de l'Ouest de l’époque, en revanche cela en dit beaucoup sur l'état d'esprit des auteurs à cette période. L'absurdité est globale, dans les deux mondes opposés elle s'exprime avec des mots différents, avec des principes et des croyances différents, mais quand on est un homme libre il faut se battre pour y réchapper.

A noter que cette édition "Lune d'encre" comporte le roman réorganisé tel qu'il aurait du paraître dans les années 60, mais aussi la nouvelle dont il est tiré. En lisant les deux de suite, les différences sautent aux yeux du lecteur, qu'ont-ils ajouté et comment, qu'ont-ils choisi de modifier dans les passages qui sont conservés. Et surtout comment ont-ils, par ces modifications, adouci le propos du roman.

Contrairement aux autres romans des mêmes auteurs que j'ai dévorés, "L'Escargot sur la Pente" propose une lecture bien plus rude, on ne nous offre aucun confort de compréhension en nous donnant un contexte ou une quelconque mise en situation. Les frères Strougatski nous jettent dans la forêt et au bord de l'administration sans préambule. A lire si on connait déjà leur œuvre commune, je ne conseillerai pas de commencer par celui-ci. 7/10
Nanash
7
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le 30 déc. 2013

Modifiée

le 4 févr. 2014

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Nanash

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