"Nous n'avons ici, dit-elle, qu'un soleil par mois, et pour peu de temps. On se frotte les yeux des jours à l'avance. Mais en vain. Temps inexorable. Soleil n'arrive qu'à son heure. Ensuite on a un monde de choses à faire, tant qu'il y a de la clarté, si bien qu'on a à peine le temps de se regarder un peu.
La contrariété, pour nous, dans la nuit, c'est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement.
Je vous ajoute encore un mot, une question plutôt.
Est-ce que l'eau coule aussi dans votre pays ? (je ne me souviens pas si vous me l'avez dit) et elle donne aussi des frissons, si c'est bien elle.
Est-ce que je l'aime ? Je ne sais. On se sent si seule dedans quand elle est froide. C'est tout autre chose quand elle est chaude. Alors ? Comment juger ? Comment jugez-vous, vous autres, dites-moi, quand vous parlez d'elle sans déguisement, à cœur ouvert ?
Je vous écris du bout du monde. Il faut que vous le sachiez. Souvent les arbres tremblent. On recueille les feuilles. Elles ont un nombre fou de nervures. Mais à quoi bon ? Plus rien entre elles et l'arbre, et nous nous dispersons, gênées. Est-ce que la vie sur terre ne pourrait pas se poursuivre sans vent ? Ou faut-il que tout tremble, toujours, toujours ?
Il y a constamment, lui dit-elle encore, des lions dans le village, qui se promènent sans gêne aucune. Moyennant qu'on ne fera pas attention à eux, ils ne font pas attention à nous. Mais s'ils voient courir devant eux une jeune fille, ils ne veulent pas excuser son émoi. Non ! Aussitôt ils la dévorent. C'est pourquoi ils se promènent constamment dans le village où ils n'ont rien à faire, car ils bâilleraient aussi bien ailleurs, n'est-ce pas évident ?
L'éducation des frissons n'est pas bien faite dans ce pays. Nous ignorons les vraies règles et quand l'évènement apparaît, nous sommes prises au dépourvu.
C'est le Temps, bien sûr. (Est-il pareil chez vous ?) Il faudrait arriver plus tôt que lui ; vous voyez ce que je veux dire, rien qu'un petit peu avant. Vous connaissez l'histoire de la puce dans le tiroir ? Oui, bien sûr. Et comme c'est vrai, n'est-ce pas ! Je ne sais plus que dire. Quand allons-nous nous voir enfin ?"