L'Espion qui venait du froid par Pelomar
Dur dur, d'écrire un résumé au verso d'un bouquin. Il faut en révéler suffisamment pour appâter le chaland, mais pas trop pour ne pas lui gâcher la lecture. C'est un exercice difficile, et qui aboutit trop souvent à des résumés qui racontent la moitié du bouquin. Je viens encore de le vivre en lisant le résumé de "Le directeur de nuit" (autre roman de John Le Carré que je critiquerai plus tard), qui, en plus, d'être en partie faux, spoile approximativement 200 pages du bouquin. C'est pourquoi j'applaudis Folio policier, qui s'est contenté au verso de son édition de recopier un passage d'un dialogue, intriguant mais qui ne révèle absolument rien de l'histoire.
L'espion qui venait du froid, donc. Troisième roman de John Le Carré, celui qui l'a rendu célèbre et l'a intronisé comme maître du roman d'espionnage. Un roman court, -je l'ai plié en une après-midi et une soirée-, sorti en 1963 (en pleine guerre froide donc) et qui mérite amplement de faire partie des meilleurs ouvrages d'espionnage jamais écrit.
De par son essence même, l'espionnage ne peut pas ressembler a ce que décrit Ian Fleming dans ses bouquins. L'espionnage et le renseignement consiste à tromper son adversaire. L'espionnage est sale, l'espionnage est traître, l'espionnage est une affaire d'intérêts et d'objectifs a atteindre, bien plus que d'idéaux et de méchants a terrasser. C'est cet espionnage que décrit Le Carré dans son oeuvre, un monde très gris et très fluctuant, ou la vérité peut très vite devenir une banale opération d'intoxication visant a tromper l'ennemi.
L'univers de Le Carré est donc très réaliste (probablement en raison de son temps dans les services secret britanniques). Mais personnellement, je n'élève pas le réalisme comme valeur ultime, j'ai même (dans la littérature en tout cas) plutôt tendance a m'en méfier : qui dit réalisme, dit souvent pompeux et chiant comme la mort.
Rien de tout ça ici. L'espion qui venait du froid est affreusement réaliste (du moins on peut le supposer), mais aussi incroyablement haletant et intense. Pourquoi ? J'y vois deux raisons principales.
Il y a tout d'abord le fait que l'histoire est au final d'une échelle très réduite : un groupe des services secrets britanniques tente une opération pour neutraliser un officier des services secrets est-allemands. Pas de grand complot mondial, pas de tentative d'assassinat de Staline, pas d'opération massive visant a faire s'effondrer l'URSS d'un coup. La narration se concentre sur une petite dizaine de personnages, et l'histoire se suit donc sans difficulté, malgré le réalisme poussé.
La deuxième raison, c'est que la narration de Le Carré implique énormément le lecteur. Je m'explique : au fur et a mesure de la lecture, on comprend que tout n'est pas clair. Et on vient a réfléchir à chaque action des personnages, à se demander si on est en face d'une action sincère, d'un coup de pute par derrière ou d'une tentative d'intoxication venant d'en haut. On est jamais sûr, mais on se pose la question, et c'est je pense la très grande réussite de John Le Carré.
Il y aurait d'autres trucs à dire : une réflexion intéressante sur la moralité des services secrets occidentaux par rapport à leurs homologues soviétiques (qui a perdu un peu de sa force depuis que la guerre froide est terminée, mais reste valable aujourd'hui), la façon dont les intérêts des personnages s'entrecroisent et se brisent entre eux, la galerie de personnages, jamais haut en couleurs mais toujours fascinante... Mais bon, on peut juste dire que L'espion qui venait du froid est un grand roman qui doit absolument être lu par tout amateur de livre d'espionnage, de livre policier, de thriller, ou simplement d'histoire de qualité.
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