Le roman s’ouvre sur une scène de lapidation d’un chien par des enfants. Histoire de donner le ton. De prévenir que ça va secouer sévère. Ici, on a la torgnole facile. Ici, les gosses collectionnent les os trouvés au cimetière et ramènent leurs parents en voiture les soirs de beuverie (« C’est souvent comme ça qu’on fait. Quand les parents sont bien trop bourrés, ils démarrent juste les autos en première et les enfants conduisent, comme ça c’est moins dangereux et nous ça va on aime bien conduire comme les distances sont pas très grandes »). Ici, on tue le cochon tous ensemble et on fait la fête jusqu’à plus soif. Ici, on vit au fond de la vallée « tout au bout, là où le temps est le même qu’à l’intérieur d’un pot de chambre qu’on aurait bien rempli et refermé délicatement pour un mois au soleil ». Un hameau, trois familles, des poules, des moutons, des agneaux et des brebis, la forêt et la brume. Pas de télé, d’internet ni de 4G. Bienvenue chez les gueux, chez les damnés de la terre. Le narrateur est un de ces marmots cradingues qui trainent leurs savates dans la boue et font les quatre cents coups en plein air. Il décrit son quotidien avec ses mots à lui, entre outrance et poésie.
C’est un petit livre de rien du tout, format poche, à peine 150 pages. Un premier roman qui claque, âpre, rude, abrasif. Simon Johannin use de punchlines qui vous sonnent comme un aller-retour en pleine poire. Pas de gants pour décrire la violence des rapports humains, pas de dentelle pour raconter la vie de ces gens-là, de ces rednecks made in France. Pour autant, le texte n’est pas autobiographique et ne donne pas dans la sociologie, on n’est pas chez Edouard Louis, on n’est pas en Picardie mais dans le Tarn, et le gamin qui cause avec sa gouaille de cul-terreux ne charge pas la mule parentale, ne met pas en cause son milieu, ne fait pas de la bêtise et de la misère un mur infranchissable bloquant toute ascension vers une adolescence épanouie. On le retrouve d’ailleurs à la fin, devenu adulte. Pas reluisant bien sûr, pas des plus fringants. Mais sans haine ni rancœur pour ses jeunes années.
Finalement, L’été des charognes n’est rien d’autre que la chronique d’une enfance rurale. Une chronique certes brutale, écrite avec les tripes, sans fioritures ni scories inutiles mais avec des envolées stylistiques dignes d’une Virginie Despentes au meilleur de sa forme. Un écrivain est né. Il s’appelle Simon Johannin, n’a que 23 ans et m’a laissé sur le cul. Merci m’sieur !