Johannin, il a plutôt réussi son coup : l’Été des charognes semble un mélange à la française entre du Donald Ray Pollock et le Verhulst de la Merditude des choses. Alors la question que se pose le lecteur habitué à ces évocations de panades sociales hors de l’espace, le narrateur se la posera à la fin, de savoir si « la vie est aussi imbattable que la mort, et qu’on ne peut rien y faire non plus » (p. 130).
L’action de l’Été des charognes se déroule dans un coin de campagne française ravagé par l’alcoolisme, l’isolement et la misère, principalement peuplé de ce que ceux qui n’en font pas partie appelleraient des cas sociaux. Le narrateur ne sera pas plus indulgent, en tout cas pas davantage porté sur l’euphémisme, quand il évoquera « cette coupe dégueulasse de Redneck, courte et inégale sur toute la tête, sauf le milieu de la nuque où on laissait une longue mèche qui faisait comme une queue de rat leur sortant du cerveau. Les filles avaient juste un amas de nœuds plus ou moins longs quand elles étaient pas aussi coiffées comme ça » (p. 123). Mais les cas sociaux ont aussi leurs cas sociaux : « Les gueux c’est tous ceux qui sont arrivés dans le coin un peu par hasard, un peu cassés par la route ou par la vie, et souvent avec des chiens. / On les appelle comme ça pas parce qu’on se croit mieux ou quoi, mais c’est parce que ça leur va bien, c’est les gueux c’est comme ça. » (p. 53-54).
D’entrée une scène de lapidation d’un chien, ça vous posait une ambiance. Et puis le martelage régulier, presque musical, d’un style débraillé, franc, sec comme des craquements d’os. Le narrateur est un môme, non seulement ça s’entend mais ça se voit aussi, car les deux premiers tiers du roman sont racontés à hauteur de môme, avec les mots et les yeux d’un môme : « C’est souvent comme ça qu’on fait. Quand les parents sont bien trop bourrés, ils démarrent juste les autos en première et les enfants conduisent, comme ça c’est moins dangereux et nous ça va on aime bien conduire comme les distances sont pas très grandes. » (p. 33).
Et même avec le cerveau d’un môme : l’air de rien il y a pas mal de choses dans ce « nous ça va », et l’une des réussites du roman de Johannin est de faire comprendre au lecteur le mélange de résignation et de fierté, de gêne et de fanfaronnade qu’éprouve le narrateur. Si les charognes abondent ici, on ne trouve pas de charognards. Pas de misérabilisme, pas d’excuses, pas de condescendance. Mais pas vraiment d’action non plus : le roman glandouille comme ses personnages, et cet été en dure plusieurs.
Et puis « On mangeait du tabac et trempait dans du mauvais alcool le bout de notre enfance. C’était déjà allé trop vite. Bien sûr, on avait le choix. On l’a toujours eu. On l’a toujours fait, le choix. » (p. 97) : arrive la charnière de l’adolescence. L’Été des charognes se met à ressembler à un Attrape-cœurs sous acide. Charnière dans la vie, deuxième couche dans le roman, qui recouvre la première sans en masquer les aspérités. Le sexe sans amour et le désir sans tendresse, à moins que ce soit le contraire. Les fêtes pendant lesquelles « On a erré jusqu’au soir d’une prise à l’autre, et quand les convulsions ont pris le dessus en nous faisant ressembler à deux hérons pleins de cendre, on est repartis en s’entassant sous les chiens d’une autre voiture. » (p. 111), parce que tout ce qu’on retrouve d’un bout à l’autre du roman c’est les clébards.
Entre temps le style s’est fait plus sourd.