La violence et la boue.
Derrière un titre évoquant la poésie et l'évasion, "L'été et la mer" donne plutôt à mettre en lumière les bas-fonds de l'humanité. Pas de plage, de baignade joyeuse à la mer ou de détente ici ;...
Par
le 28 avr. 2024
3
Des gratte-ciels à demi immergés, des couleurs crépusculaires : la couverture de l’édition française de l’Eté et la mer donnait déjà un aperçu de l’univers imaginé par George Turner, et je dois avouer que c’est sans doute ce qui m’a conduit à choisir ce livre. Une nouvelle variation sur l’inépuisable littérature post-apocalyptique. Malheureusement, le roman s’est avéré assez faible. Les jeunes années de Teddy et de Francis, deux Stables qui finissent dans la Frange aux côtés des Souilles (le seul nom des différentes classes sociales laissent deviner une société classiquement divisée entre dominants et dominés, dans un Etat omnipotent et policier : des leitmotiv de la SF aujourd’hui), ne suffisent pas à nourrir une véritable mécanique narrative. Il aurait fallu de véritables enjeux, autres que celui de la description presque scientifique du monde, qui semble s’adresser directement à un lectorat de l’époque actuelle (les années 80, date de publication du livre original). Le ton est souvent démonstratif. L’auteur semble s’être laissé dominer par son enthousiasme à nous expliquer son futur imaginaire, plutôt qu'à nous le décrire par petites touches. Or, il me semble que la meilleure littérature d’anticipation se laisse amener de manière subtile, indirecte, progressive. C’est au lecteur d’aller piocher dans les informations distillées au compte-goutte dans l’intrigue pour comprendre, petit à petit, dans quel monde il a atterri. Turner nous enlève ce plaisir en nous présentant son univers comme un guide de musée piloterait un groupe de visiteurs. Ce n'est que lorsque le mystère autour du virus apparaît dans le dernier quart du roman qu'un véritable souffle est trouvé.
Teddy et Francis sont qui plus est assez antipathiques, ils en veulent à la Terre entière pour avoir été déclassés quand leur père a perdu son emploi et s’est suicidé. Ils sont pétris de préjugés sur les Souilles, et même si le premier finira par avoir une compréhension plus complexe du monde, je trouve dommage d’avoir recours à des personnages si caricaturaux simplement, encore une fois, pour appuyer la dimension totalitaire de la société dépeinte. On l’a bien compris, il y a du conditionnement dès le plus jeune âge, mais n’aurait-on pas pu trouver plus nuancé comme état d’esprit, dans au moins un des personnages principaux ? Ou alors, il aurait fallu mieux décrire et explorer tous les aspects dudit conditionnement, mais là on a plutôt l’impression d’avoir affaire à deux cons en puissance. Leur mère est tout aussi prévisible, le policier Nick coche les cases du flic bourru au grand coeur. Billy Kovacs, personnage central puisque c’est autour de lui que gravitent les recherches de la chercheuse des siècles plus tard, est un rouage essentiel du système. Il aurait pu être intéressant mais il n’est, là aussi, que survolé.
Le grand intérêt du livre – le seul, finalement – réside dans sa dimension prophétique. La montée des eaux est aujourd’hui une réalité, certes d’une moindre ampleur que celle décrite dans le livre, mais tout de même unanimement admise. Et certains coins du monde pourraient bien ressembler à ce Melbourne dystopique d’ici 15 ans. Le réchauffement climatique, à l’époque exclusivement expliquée par « l’effet de serre » citée dans le livre, est aujourd’hui le défi majeur de l’humanité. Le livre de Turner réussit postérieurement à dénoncer cette cécité générationnelle qui consiste à n’agir qu’en fonction du monde que l’on connaîtra de notre vivant. Il est un bel appel à la solidarité postportem, encore mieux adressé au lecteur de 2024 qu’à celui des années 80. Oeuvre éminemment utile, donc, mais assez faible d’un pointe de vue littéraire.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Lectures 2024
Créée
le 5 déc. 2024
Critique lue 2 fois
D'autres avis sur L'été et la mer
Derrière un titre évoquant la poésie et l'évasion, "L'été et la mer" donne plutôt à mettre en lumière les bas-fonds de l'humanité. Pas de plage, de baignade joyeuse à la mer ou de détente ici ;...
Par
le 28 avr. 2024
3
Du même critique
Non, non, non. Toi là! Je te vois venir, avec ton air de connaisseur, de chevronné, de celui qui n'a jamais tort, qui a la science infuse! Je te vois venir avec tes "Pour l'époque, c'est vrai que...
Par
le 25 août 2015
12 j'aime
3
Claudette ne supporte pas son chien qui lui colle aux pattes. « Du balai sale cabot » vocifère-t-elle d’une voix qui percerait les tympans du plus sourd des hommes. Il faut dire qu’elle se...
Par
le 4 nov. 2017
10 j'aime
S'il fallait ne retenir qu'une comédie dramatique, ce serait bien celle-là. Deuxième long-métrage de Sofia Coppola, Lost in Translation raconte l'histoire de deux Américains paumés au Japon. Bob...
Par
le 4 avr. 2015
10 j'aime
1