"Vous prendrez bien un petit meurtre ?" "Avec deux sucres et un nuage de lait."
Récupéré de justesse à l'occasion d'un vide-étagère de ma maman chez Gibert Joseph, j'attendais beaucoup de ce qu'on m'avait décrit comme un "roman policier honnête et bien ficelé". Faut dire que les romans comme ça, j'en fais mon quatre heures comme d'autres succombent à une addiction de cookies.
J'ai été très déçue. Rien ne répondait à mes attentes, et après une bonne vingtaine de pages, je me suis demandé comment ma mère qui a d'habitude si bon goût en littérature avait pu me refiler une telle croûte. Les phrases courtes et répétitives rendaient la lecture pénible, et j'avais l'impression de lire un roman d'époque fleuri rédigé par une copine de collège. Et puis surtout, où était donc le crime ? Le mystère ? L'action à foison ? L'ENQUETE ? Madame Perry, dans toute sa bonne volonté, se bornait à me décrire la vie de famille visiblement bien ennuyeuse de Charlotte et ses deux soeurs, et son père, et sa mère, et son crush pour son beau-frère, et ses voisins, et- JE VEUX DU SANG BON DIEU DE BOIS.
Puis j'ai commencé à voir clair dans son petit jeu. Car Anne Perry ne nous vend pas du Sherlock Holmes (BBC version) ou du NCIS façon roman de gare. Elle nous vend une époque, une ambiance, un lieu et surtout, des connections subtiles entre les personnages. Car effectivement, la charmante Charlotte, discrète figure féministe, ne risque pas de sortir en furie au beau milieu de Cater Street pour poursuivre un serial killer, sous le regard dégoûté de la société bienséante du XIXème siècle. Quand on y réfléchit, ce serait parfaitement absurde et anachronique et c'est bien en ça que ce polar est plutôt bon. Non, Charlotte (et son amoureux éconduit l'étonnant Inspecteur Pitt) se contente de papoter, lire, vivre sa vie, conseiller sa petite soeur, comme n'importe quelle femme de l'époque serait tenue de faire.
Le twist ? Plutôt surprenant si on n'est pas habitué aux polars, et je dois avouer que même moi qui tombe généralement juste sur mes présomptions ai été surprise. Car l'autre talent d'Anne Perry se trouve là : à travers le portrait intime de tous les gens du voisinage, elle parvient à nous faire valser d'un suspect à l'autre en un claquement de doigts, sans jamais donner d'indices directs ni de préjugés ... à vrai dire sans jamais vraiment mentionner les meurtres. Tout se passe dans la tête du lecteur, qui involontairement, cherche à la manière du regard perçant de l'Inspecteur Pitt la moindre petite trace dans les paroles et les attitudes qui pourrait nous mener à la découverte de l'identité de ce mystérieux étrangleur de Cater Street. Et si Perry ne donne aucun détail du déroulement de l'enquête, c'est pour mieux la laisser se former dans la tête du lecteur... pour mieux être surpris à la fin.
En bref, après la lourdeur et la déception des premières pages, je me suis laissée absorber par ce nuage de subtilité et de justesse qu'est le polar façon Anne Perry. La lecture devient agréable et fluide et le bouquin s'avale en une poignée de jours, pas plus.