L'Éveil
4.8
L'Éveil

livre de Line Papin (2016)

Avertissement : livre lu et critique rédigée dans le cadre du prix SensCritique du Premier Bouquin.


Le pitch : Juliet, une jeune fille bien sous tout rapports, rencontre un mystérieux jeune homme et s'amourache de lui. Ils sont jeunes et beaux et ils s'aiment dans les rues de Hanoï. Mais son cœur à lui saigne encore pour une autre, Laura.


Apparemment bien décidée à prouver au monde que la valeur n'attend pas le nombre des années, la jeune autrice de L'éveil s'est lancée à corps perdu dans une écriture que je pourrais qualifier de « sensuelle et sans suite » si je voulais plagier Gainsbourg. Ça parle beaucoup des sens, des émotions, ça ne quitte jamais la tête des deux protagonistes, elle naïve et frivole, lui cynique et torturé, ça refuse obstinément toute linéarité. Le problème, c'est que c'est si peu maîtrisé ! Les chapitres de Juliet s'efforcent en vain de faire naître une ambiance à travers des descriptions amphigouriques épuisantes où la syntaxe et le vocabulaire sont poussés dans leurs derniers retranchements, avec un soin du détail qui finit par noyer le tableau d'ensemble. Tout ça pour tenter de nous faire compatir aux émois de cette gamine qui, avec ses belles phrases toutes faites, se prend visiblement beaucoup trop pour son éponyme shakespearienne. Ce n'est pas mieux quand on adopte son point de vue à lui, l'homme sans nom mais qui pourrait tout aussi bien s'appeler « ironie dramatique » tant l'asymétrie de sa relation avec Juliet sert à amorcer la plupart de ses chapitres. Laura pourrait être le personnage le moins mal campé des trois (enfin, il y en a quatre en fait, mais le dernier, Raphaël, n'est guère là que pour servir de caisse de résonance aux émois des trois autres lurons), mais c'est peut-être parce qu'on n'entre jamais vraiment dans sa tête et qu'on se contente de la voir s'autodétruire à travers le regard d'autrui ; et de toute façon, j'avais déjà complètement décroché du livre au moment de son apparition. Je ne parlerai même pas des dialogues, qui alternent entre un lyrisme ridicule qui empêche toute crédibilité et une volonté de réalisme qui tombe à plat à cause de ces passages au lyrisme ridicule.


Et le cadre, mon Dieu, le cadre ! L'autrice est apparemment née à Hanoï, donc qu'elle choisisse d'en faire le cadre de son roman, c'est compréhensible. Mais difficile de croire qu'elle y a jamais vécu tant la ville n'acquiert de réelles couleurs à aucun moment. Tout comme l'ambassade où vit Juliet est complètement isolée de la ville, le livre est complètement isolé de son cadre vietnamien, et il pourrait tout aussi bien se passer à New York, à Dunkerque ou en Pologne (c'est-à-dire nulle part) ; deux-trois modifications cosmétiques par-ci par-là et on n'y verrait que du feu. Et puis, tout de même, les histoires de jeunes Blancs désœuvrés qui traînent leur mal-être dans la moiteur sordide des pays du tiers-monde, ça pue pas un peu le néocolonialisme ? Il ne serait pas temps d'arrêter ça en 2016 ? Marguerite Duras avait au moins l'excuse de son époque ! (Et non, même s'il n'y a pas vraiment d'indicateurs temporels clairs, le bouquin ne peut pas prétendre se passer avant les années 90.)


Bref, je serais bien en peine de trouver une raison de lire ce livre. « Stérile » est le mot qui me vient à l'esprit pour le décrire : des mots creux pour dépeindre des choses vaines. Je n'ai rien contre l'art pour l'art, j'apprécie les écrivains qui s'amusent avec la langue et la sculptent en constructions fantasmagoriques, mais ici, j'ai davantage l'impression d'une déferlante incontrôlée. L'expérience apportera peut-être à l'autrice la discipline nécessaire pour de meilleurs futurs romans.

Tídwald
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le 13 sept. 2016

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