L'Éveil
4.8
L'Éveil

livre de Line Papin (2016)

Face au fleurissement de notes scandaleusement basses, je me dois de rétablir ce qui est et de rendre justice à ce qui est pour moi, un très beau premier roman. Alors certes, on pourra sans doute reprocher à ce très jeune auteur (Line Papin n'a que 21 ans) une forme d'immaturité sentimentale dans sa peinture de personnages s'écoutant un peu trop parler, ainsi qu'une nette propension à un lyrisme parfois un peu trop échevelé. Quoique, est-ce vraiment un défaut à cet âge ? Pour moi, pas vraiment, mais cela est sans doute une affaire de sensibilité - ou d'indulgence, aussi.


Du reste, voilà un livre très nettement inspiré de L'amant de Marguerite Duras : même cadre vietnamien, même récit d'apprentissage sensuel entre une jeune fille et un homme plus âgé (mais plus torturé que chez Marguerite) : c'est l'éveil du titre - éveil à la séduction, aux plaisirs de la peau nue et aux affres de l'amour impossible. Line Papin campe 4 personnages appartenant tous plus ou moins à la jeunesse dorée d'Hanoï. Oisifs et contemplatifs, ils n'ont finalement d'autre souci que d'écouter, de suivre et de rendre compte des soubresauts de leur cœur. Cela est-il condamnable ? On n'est pas sérieux quand on a la vingtaine, on s'enflamme, on croit pour un regard détourné de l'aimé que l'univers s'effondre, on se quitte, on se blesse, on se tombe dans les bras... On ne songe qu'à se bercer du doux vibrato de l'amour et/ou à se complaire dans une romantique souffrance. L'auteur rend très bien, via un style très sensuel, poétique et lyrique, ces palpitants qui débordent de l'envie d'aimer et d'être aimé.


J'ai trouvé sa plume absolument ravissante, ses descriptions du fouillis et du bruit urbains, du vent dans les palmes, de la lumière, très gracieuses... Ses métaphores, les images qu'elle emploie pour dire ses émotions m'ont paru vraiment inédites, jusque dans le rythme employé. Phrases courtes, répétitions anaphoriques, points de suspension éloquents, verbes antéposés : l'auteur a clairement voulu faire montre de sa capacité à utiliser une langue littéraire originale. Nous sommes presque, par moments, dans la pure prose poétique qui m'a rappelé, inévitablement, Belle du Seigneur :



C'était moi, ivre et amoureuse, cette fille ridicule dans ce salon... Cette fille qui pense à lui, son homme du désert, son seigneur, et qui se fiche de tout parce qu'elle est la reine, la belle...Ses bras s'offrent au vent, elle sourit : c'est l'amour en elle, les dieux en elle, c'est la poésie entière qui gonfle sa chair : (...) Voilà, c'est le réveil des sens, l'irruption volcanique, l'envie : le désir, jailli on ne sait d'où, plie son corps... "On le trouve partout, l'amour... Enfin, peut-être qu'il faut avoir l'âme un peu poète..." (...) Dans son salon de damas, assise seule sous les voiles soufflées par le vent, la reine de Saba songe au seigneur de ses nuits... A travers les vitres, elle regarde la lune derrière les filets de nuages... Ce visage...C'était moi, il fallait me voir, ce soir-là, j'étais folle et merveilleuse d'être aimée, d'aimer...



Je pense que ce livre séduira davantage les femmes, surtout celles qui se rappellent leurs jeunes années inflammatoires, celles que ce récit renverra aux flamboiements passés, aux nuits inquiètes, à la douleur des amours avortées, enfin à celles que touchera toujours la sincère expression des transports amoureux..


L'éveil m'a charmée, troublée, parlé : la magie du sentiment de connivence avec son auteur, cette sensibilité jumelle qui se lit entre les lignes - ineffable rencontre, communion littéraire des coeurs. Je comprends cependant qu'on puisse ne pas y être sensible et y adhérer, trouver ça trop bavard, mais la passion amoureuse y est si élégamment évoquée...


Comme le dit bien la quatrième de couverture, nous sommes bien là face à la naissance d'un écrivain - ou plutôt d'une belle voix sensible qui m'a inspirée, aspirée et envoûtée de bout en bout.

BrunePlatine
7
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Créée

le 27 sept. 2016

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