Ce recueil de nouvelles m’a donné froid. Le froid de la nostalgie, celle qui blesse, le froid de l’exclusion que l’on pensait révolue, le froid de ce qui nous reste alors qu’il y a eu tant avant. Par d’autres lectures, j’avais goûté à l’Algérie chaleureuse, aux odeurs d’épices et d’agneau, où les rues accueillaient jeux de cartes et bavardages ; une Algérie dont le souffle chaud du vent transpirait une sensualité discrète mais enivrante. Avec "L’exil et le Royaume" (1957), Camus nous ouvre la porte d’un territoire qui souffre, profondément marqué par la colonisation.
Chaque nouvelle donne lieu au face à face entre un besoin d’appartenance et un sentiment d’être malgré tout tenu à distance ; comme une fatalité prenant racine dans un passé historiquement douloureux. Il en émerge un sentiment de déracinement permanent qui se matérialise à travers le fait qu’aucune des nouvelles ne parvient à arracher au lecteur la satisfaction d’une fin supportable. Janine fixe l’horizon, consciente d’évoluer dans un royaume de pierres appartenant à des hommes aux yeux rieurs qui ne la regardent pas. Le renégat se voit contraint d’adopter la foi de ses nouveaux maîtres qu’il était venu lui-même convertir. Ceux que l’on refuse d’écouter se taisent pour imposer leur voix. Daru se voit reprocher d’appartenir à un peuple dont il refuse pourtant d’appliquer les règles. Jonas ne parvient plus à décrire les hommes tout en vivant avec eux. Seul D’Arrast semble avoir « trouvé dans l’exil, le royaume qu’il cherchait »*, et cette dernière nouvelle aurait pu constituer une lueur d’espoir si le récit ne se déroulait pas dans une atmosphère géographique plus proche de l’Amérique latine que de l’Algérie.
Dans cette œuvre, Camus ne discute jamais sa position, au carrefour de deux cultures, mais fait simplement acte de déférence pour cette Algérie qu’il porte en lui et l’ambivalence identitaire qu’elle nourrit. Lecture froide, donc, mais qui porte en elle la chaleur d’un engagement à la fois personnel et politique.