[...] Je résume : c’est l’histoire d’un homme qui a vu quelque chose ;
qui l’a connu sans le voir. Et qui, ne l’ayant ni vu, ni compris, n’a
pas cessé de vivre. Ce quelque chose, ce n’est pas Austerlitz ; ce ne
sont pas les heures glorieuses ou vaines ; ce n’est pas la vie et ce
n’est pas la mort. Plutôt une approche. Une répétition qui ne peut
avoir lieu. C’est donc à peine un cahier : disons un essai. Une
expérience. [...] Ce jour d’avril 1961, on s’est assis au fond de la
tranchée : c’était dans le désert, au nord de Tamanrasset. [...] En
2002, le ministre des Armées de l’époque, vieux et légendaire dans son
costume à galons, expliquait dans un autre journal : « Nous voulions
surtout évaluer le niveau de radiations subi par les hommes afin de
définir les distances de sécurité. » Puis : « Les Etats-Unis avaient
réalisé plusieurs expériences comme celles-là, mais ils refusaient de
nous en communiquer les résultats. »
En 1961, l'honorable Pierre Messmer alors ministre des armées de notre Si Grand Général, voulait, de manière assez simple, expérimenter le niveau des radiations sur ses hommes. Ce ne sera dit et reconnu que bien plus tard en 2002. Secret défense, sans doute.
Sans polémique inutile, Christophe Bataille nous raconte cette Expérience, de l'intérieur, par ceux qui l'ont vécu ou plus exactement par ceux qui y ont survécu : les quelques trouffions envoyés dans une tranchée, avec une légère combinaison protection, à quelques centaines de mètres de la bombe, à côté de cages renfermant lapins et chèvres. Rassurez-vous, les engagés n'étaient pas encagés : l'honneur de la Grande Muette est sauf.
[...] Ce que j’apprends au fil des années me stupéfie. Les caméras
ultrasensibles filmaient l’explosion au ralenti, à un kilomètre,
protégées par dix centimètres de verre blindé. Dix centimètres. Et les
équipes militaires nous ont surveillés depuis le blockhaus,
gigantesque et enfoui à plusieurs dizaines de mètres sous le sable et
le ciment.
Nous mêmes en 2015, sommes tout aussi stupéfaits : on se doutait bien que les essais nucléaires du Sahara n'étaient pas exempts de dommages collatéraux, notamment sur les populations locales.
Mais on n'avait jamais vraiment réalisé qu'ils étaient allés jusque là.
Alors oui, en 1961, près de la base de Reggane, l'armée teste quelques bombinettes et envoie quelques trouffions dans une tranchée, au plus près de l'impact de Gerboise Verte (joli nom), histoire d'en mesurer les effets en vrai (pour la sécurité, y'a rien de tel, Messmer dixit).
Des plus ou moins volontaires, si toutefois ce mot à un sens à l'armée, certains ayant fait des petites bêtises et ne pouvant guère refuser un ordre qu'ils ne comprenaient qu'à moitié.
Le flash qu'ils subirent les poursuivra et les rongera jusqu'à la fin, c'est le principe même de ces bombinettes.
Evidemment aujourd'hui ni Messmer, ni les autres, ni les trouffions irradiés ne sont plus là mais Christophe Bataille garde l'énorme mérite de nous ressortir cette histoire de derrière les armoires empoussiérées de notre force de dissuasion. Devoir de mémoire.
On regrette son style ampoulé, un peu trop farci d'introspections philosophiques : il n'est jamais aussi bon que quand il se contente de décrire froidement le sfaits bruts, qui évidemment parlent d'eux-même, crient d'eux-mêmes, dans qu'il soit besoin d'en rajouter.
On regrette également qu'il ne soit fait qu'une rapide et insignifiante mention des populations locales.
Mais cela n'enlève rien au caractère obligatoire de cette (courte) lecture.