On est tous forcément fiers en tant que lecteurs français du Nobel de littérature reçu par Modiano, même si c'est, avouons-le, un auteur qui ne nous passionne pas vraiment : le Nobel à Houellebecq, ce serait quand même bien plus rock'n'roll, non ? Et puis quelque chose en nous nous susurre que, s'agissant de littérature soft et consensuelle, Murakami méritait plus d'être distingué... Du coup, en réponse à la médiatisation relative de notre doux arpenteur parisien, on lit "l'Herbe des Nuits", même si on n'avait pas adoré "Un Pedigree", ni "Le café de la jeunesse perdue". Et le résultat est le même (même cause, même effet, non ?) : on dévore à toute allure ce court roman, emporté par le style élégant et hypnotique de Modiano, qui crée une sensation d'hallucination très cinématographique, et nous tient en haleine avec un faux thriller entre présent, passé et rêves brumeux, thriller auquel on sait très bien dès le départ qu'aucune solution ne nous sera livrée. Tout cela est excessivement romantique, alors que nul pathos ne se dégage jamais de cette histoire d'amour et de perte, mais en même temps irrémédiablement passéiste : Modiano ne nous raconte pas seulement un Paris disparu, celui de sa jeunesse, mais nous dévoile que ce Paris-là était déjà un cimetière de lieux morts dont il tenait alors le registre dans son cahier noir... Rien dans "l'Herbe des Nuits" n'a donc réellement de consistance, le lecteur ne peut que douter de la véracité de ce que Modiano lui raconte, fantasme - par ailleurs bien pâle - d'histoire d'espions oubliés dans les limbes de l'histoire, spectre tremblotant d'histoire d'amour, dont on soupçonne qu'elle n'était guère intense, tant ses protagonistes refusent de se livrer l'un à l'autre, semblant préférer un désespoir léger et un ennui élégant. Modiano ici, c'est un peu du Lynch light, sans la terreur, sans même le trouble, juste avec la pose de dandy. Le plaisir de la lecture est indéniable (belle écriture, d'où le Nobel ?) mais la frustration au final l'emporte : est-ce qu'il n'y a vraiment que ça ? [Critique écrite en 2015]