Pour mieux appréhender la Deuxième Guerre mondiale, on peut lire des livres d'histoire, on peut regarder des films de l'époque colorisés ou on peut revoir McQueen s'évadant du Stalag. Mais on peut aussi avec beaucoup de profit lire cette oeuvre étonnante et très courte (100 pages) qui vous fait exploser à la figure toute l'horreur qu' a été l'invasion nazie et que sera sans doute la prochaine guerre.
Car c'est bien toute l'histoire de ce conflit qui nous est narrée de manière foudroyante , sur un ton d'une désarmante bonhomie par le livre de Khazanov. Le focus est ici sur un petit royaume d'opérette qui se voit envahir en une matinée par le Troisième Reich en mouvement. La guerre n'est pas montrée de front, elle nous est suggérée par des anecdotes elliptiques au possible. (Très bonne traduction au demeurant) Un homme tombe à terre et c'est toute l'invasion qui a lieu. Un jeune homme charge sabre au clair et c'est tous le pays qui est défait. Un enfant ose cracher sur un soldat et c'est toute l'horreur nazie qui ressort au détour de la phrase.
La guerre et l'occupation de la petite principauté nous est présentée par le biais de la journée de travail du petit roi Cédric X, qui ne sert pas à grand chose mais sur qui repose toute la dignité d'un pays. (En tant que chirurgien à ses heures, il est plus utile). L'heure du roi, c'est l'heure de la promenade dans les rues du bon vieillard. Pas de quoi fouetter un chat. Et pourtant...
Zhakanov joue donc avec une imagerie d'Epinal qui va télescoper l'horreur de la situation. Ce n'est pas pour rien que Camus est cité en exergue: c'est bien l'Absurde qui entre avec ce conflit dans la vie de chacun, comme c'est bien le Mythe qui soutient la machine nazie, un Mythe toujours vivant aujourd'hui. C'est cette irruption de l'Absurde dans le monde des hommes qui rend des personnages comme Don Quichotte / Cédric X possibles dans notre réel.
J'ai beaucoup aimé ce côté de l'oeuvre : garder la guerre aux dimensions de l'individu (un soldat, un garde, un résistant...), dépouiller les oripeaux du roi (qui devient docteur de campagne) , dépouiller le Führer de son uniforme (juste un patient en sous-vêtements) et pourtant jouer la comédie du pouvoir et ses affreuses conséquences, en une confrontation théâtrale.
..... Et au détour d'un chapitre, la transcription soudaine et complète d'un livre anti-sémite ignoble.....
Lorsque la Solution pointe son infect museau, seul un geste unique, humble et énorme à la fois, s'oppose à l'horreur.
Un très beau livre, que l'on pourrait mettre au programme de nos écoles et qui fait en quelques pages autant de dégâts que le gros (et excellent) Catch 22, je trouve. Recommandé!!!