Avec sa magnifique couverture, son volume généreux et sa liste d’intervenants des plus impressionnantes, l’Histoire de Tomb Raider était déjà un must read avant même d’en connaître le contenu. Il s’annonçait comme une épopée passionnante pour le fan de Tomb Raider. Et, bien que n’ayant jamais été parfaitement convaincu par un ouvrage de Pix’n Love par le passé, je nourrissais d’assez importantes attentes pour ce volume. Des attentes qui ont été fracassées par un Alexandre Serel désireux de rendre un superbe hommage à la licence. Pour en faire le meilleure ouvrage Français sur une saga de jeu vidéo ? Peut-être bien.
La préface de Richard Morton annonce la couleur : quand on parle de Tomb Raider, on entend directement Toby Gard, son créateur. S’il est indéniable que TR n’existerait pas sans lui, il est important de rappeler que la saga n’existerait pas non plus sans une multitude d’autres personnes. Et l’Histoire de Tomb Raider donne la parole à ces créateurs.
Une des personnalités les plus éminentes du livre sera donc Richard Morton, game designer sur tous les Tomb Raider de Core Design, qui prendra de plus en plus d’importance avec le temps. Mais nous auront aussi les participations de Simon Phipps, l’un des créateurs de Core Design, Heather Gibson, une level designeuse très importante sur les 2 premiers volets de la saga, Gavin Rummery, programmeur de génie ayant créé l’éditeur de niveaux qui a permis à TR d’exister, Nathan McCree et Peter Connely pour la musique et beaucoup d’autres.
Tous ces intervenants permettent à Alexandre Serel de s’emparer d’une histoire intéressante et de la raconter avec passion. Sa passion à lui, mais également celle des développeurs qui transparaît à travers son écriture. Et grâce à cette collaboration, le fan absolu de TR apprendra tout de même énormément de choses, car le livre de Pix’n Love réserve son quota de surprises.
Alexandre revient tout d’abord sur la création de Core Design, mais il le fait de manière intelligente : il part du tout début, de la situation économique et du jeu vidéo en Angleterre dans les années 80, et arrive ainsi naturellement à la création de la petite société à Derby et ses débuts. Il racontera d’ailleurs l’histoire entière du studio et n’occultera rien de tous les soucis qu’il a pu rencontrer dans le temps, que ceux-ci soient internes (et notamment les nombreuses querelles avec le patron Jeremy Smith) ou externe avec Eidos, pour qui Tomb Raider était à l’époque « leur FIFA », pour en reprendre les paroles de son ex-PDG Ian Livingstone.
La création de Tomb Raider est ensuite racontée en détails et il n’y a rien à redire : c’est passionnant de bout en bout. On vit le processus créatif dans son entièreté, les échecs, les réussites, les moments d’euphorie, de rage et de désespoir. Des personnalités émergent, d’autres partent en dépression et quittent l’entreprise. Et de tout cela sort Tomb Raider, l’immense carton que l’on connait tous. Je regrette simplement que l’auteur n’ait pas eu la contribution de Toby Gard lui-même, et qu’il se rapporte donc simplement sur des « on dit » à son sujet.
Plus de 100 pages passionnantes sur Core Design et Tomb Raider 1, que demander de plus ? Un principal regret : que la différence du système de sauvegarde des version PC et PS1 ne soit ni abordée ni expliquée. Plus ennuyeux sûrement, il n’y a absolument aucune information sur l’extension du jeu, Unfinished Business. Tout juste est-elle mentionnée.
Peu de choses à redire sur la partie Tomb Raider 2, toujours aussi magistrale, si ce n’est que le paragraphe sur Golden Mask est aussi insignifiant que celui sur Unfinished Business. Dommage. J’apprécie également qu’il soit mentionné que l’abus d’ennemis humains dénature le jeu pour nombre de joueurs, mais l’évocation de ce soucis (majeur selon moi) est peut-être trop succinct par rapport à ce qu’il représente et aurait peut-être mérité un peu plus de développement et d’analyse.
Ah Tomb Raider 3… Mon épisode préféré de la saga après TR1. Pourtant si décrié, je crois que peu de gens ont réussi à apprécier l’excellence de son gameplay et de son level design. TR3 est un jeu merveilleux à beaucoup d’égards, dont son OST qui est une pure merveille, mais qui se sera fait massacrer pour sa difficulté implacable (bien qu’il ne soit pourtant pas si difficile) et ses quelques erreurs de parcours (Londres en tête). Aussi était-ce avec un mélange de crainte et de curiosité que j’attendais de voir l’angle d’attaque de l’auteur.
Et globalement, celui-ci reste relativement neutre et intéressant, abordant plutôt bien la plupart des sujets du jeu. Malheureusement, il ne sera jamais question du splendide level design du jeu, et il y a un passage sur le fait que TR3 dénature l’esprit de la saga qui est sujet à discussion : « Vicky Arnold donne l’impression d’être à court d’idées, ou pire, qu’elle ne comprend plus la licence ». La raison ? Le fait que TR3 parte légèrement dans le surnaturel avec la Zone 51. Pourtant cela ne dérangeait personne dans TR1 et 2, le surnaturel, si ? Est-ce le fait d’être emprisonné dans la Zone qui pose problème ? Ce n’est clairement pas le meilleur niveau du jeu, mais combien de fans idolâtrent un Opéra de TR2 franchement sombre, urbain et peu intéressant ? TR3 ne fait en un sens que reprendre les meilleures idées de TR1 et certaines des pires de TR2, mais l’injustice de la comparaison TR2 / TR3 m’étonnera toujours. Il semblerait malheureusement que sa difficulté et son manque de finition l’ait condamné à être l’épisode à détester, avant Angel of Darkness du moins. Dernier point, sur la musique cette fois, joliment traitée, si ce n’est qu’il n’y a aucune information sur « Something Spooky in that Jungle », le thème culte de l’Inde.
Les choses s’accélèrent, et alors que le temps file pour Core Design il file également pour l’auteur, dont les parties semblent être proportionnelles au temps de développement des jeux qu’elles traitent. Logique me direz-vous, mais pas forcément quand il est question d’analyse. Le livre continue toutefois à enchaîner les pages passionnantes dans le plus grand des calmes. Je regrette simplement qu’il n’y ait pas un mot sur la catastrophe du Caire et des Pyramides de Gizeh à la fin de TR4, ni d’emphase globale sur le level design du jeu, pourtant intéressant à plus d’un titre. On passe finalement assez vite sur TR4 et même la musique est beaucoup moins détaillée, quand bien même c’est Peter Connelly qui reprend le flambeau.
TR5 me fait penser à un regret global sur le livre : il est dommage qu’il ne parle jamais du LD et de ses incohérences au fil de la saga. Alexandre dit par exemple que TR5 est catastrophique mais il ne l'explique pas au point de vue plus micro du design des niveaux. Il n’explique pas les réelles raisons de l’échec qualitatif de jeu.
Niveau mobile, la partie sur les épisodes Game Boy est extrêmement intéressante. On ne peut pas en dire autant de celle qui concerne les 3 épisodes sortis sur téléphone mobile, expédiés en autant de mots : on ne sait même pas qui sont les développeurs.
Avant de continuer, il est important de signaler que si j’aborde des points de détails sans réponse ou analyse, c’est car l’abondance d’informations sur le reste est telle que chaque petit trou non comblé est douloureux. Ainsi, le livre traite ensuite des projets TR annulés après TR4, possède un chapitre fantastique sur les adaptations en comics et se permet également 2 exclusivités mondiales de haute volée.
La première concerne la première version du film Tomb Raider. Car oui, peu de gens le savent mais le script avec Angelina Jolie n’était pas le premier, l’original. Et pour citer Alexandre : « Aucun journaliste, aucun fan du monde n’a jamais pu mettre la main sur cette version. Jusqu’à maintenant. »
L’auteur a donc réussi à mettre la main sur ce script, et le dévoile intégralement. Passionnant. Vient ensuite la partie sur l’Ange des Ténèbres et la fin de Core Design, parfaitement traitée ou presque. Petite frustration lorsque l'auteur indique que la PS2 est difficile à programmer “mais que c'est compliqué d’expliquer pourquoi”, et ne le fait donc pas. Des explications légèrement complexes, c'est bien mieux que pas d'explication du tout à mon sens. Dommage également qu'on ne sache pas quelle boîte Andy Sandham et Martin Gibbins vont monter lorsqu’ils quittent le studio. Après les avoir suivis pendant si longtemps au cours de notre lecture, on aimerait savoir où ils s’en vont.
S’ensuit la seconde grosse exclusivité : la suite à l’Ange des Ténèbres a bien été écrite en 2003, par Richard Morton himself. « Depuis 2003, il avait conservé cela chez lui, sur papier. Il voulait juste attendre le bon moment pour les révéler. Et ce moment, c’est maintenant ». Si je ne porte pas spécialement l’Ange des Ténèbres ni son scénario dans mon cœur, force est d’avouer qu’il s’agit là d’un nouveau moment historique pour les fans de la saga.
Lorsqu’on en arrive à ce stade du livre, c’est du 9/10 assuré, voire même du 10. On n’est pas loin de la perfection. Seulement, on sent la douille arriver. Page 360 sur 470, cela laisse seulement 110 pages à Crystal Dynamics… Comment peut-on faire aussi bien en si peu de pages ? C’est faible, très faible. Et ça ne loupe pas.
La partie sur Tomb Raider Legend est bien trop courte. Il s’agit du « grand retour aux sources de la saga », et aucune question de design n'est abordée ou presque. Quid du côté TPS ? Des véhicules ? De l'humour ? La partie sur la musique est expédiée alors qu'elle est excellente... Et de manière générale il n'y a aucun intervenant ni aucune analyse du jeu. C'est vraiment dommage que le traitement soit aussi inférieur pour un tel jeu.
Et après un rapide coup d’œil à la liste des interviewés, la vérité éclate : il n’y a personne de chez Crystal Dynamics. Est-ce par manque de temps ? Volonté de boucler l’ouvrage pour le sortir ? Cela m’a rappelé le très médiocre livre sur Bioshock, en bien mieux écrit, bien plus agréable et bien plus pertinent attention. Juste au niveau de la légèreté du contenu.
Et ce n’est pas la partie sur Tomb Raider Anniversary, extrêmement décevante, qui rattrape cela. Quid du rôle de Toby ? Des QTE ? De la musique expédiée en une phrase ? Du couple gameplay / LD répétitif et parfois inadapté ? De la disparition du Tombeau de Tihocan ? Du viol complet de l’Atlantide, on ne peut plus visiblement rushé ? Je me suis étouffé lorsque j’ai lu les mots « remake intouchable ». SERIEUSEMENT ALEX ??? Il faut dire que TRA est sûrement ma plus grosse déception vidéoludique ever et, bien qu’il reste un bon jeu, il y a des tonnes de choses à dire dessus. Des analyses à faire, de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas du tout. Quel dommage ! Crystal Dynamics aurait probablement mérité un deuxième volume, s’il fallait absolument sortir ce livre. Je l’aurais acheté les yeux fermés, un livre sur CD de la qualité des passages sur Core. Ici, c’est juste un triste gâchis.
Surtout qu’en parallèle, on nous raconte la véritable histoire du TRA de Core Design, et la manière absolument scandaleuse dont on les a évincés au dernier moment, sans prévenir, pour des pures questions de politique (ce que niera encore une fois Ian Livingstone lorsqu’interviewé en 2017). La partie sur CD en ressort encore plus affaiblie. Je ne ferai pas l’affront de mentionner TRU, éludé en moins de 10 pages.
Le livre se termine ensuite sur 3 interviews de personnalités, dont la seule qui a réellement un intérêt à mon sens est celle de Françoise Cadol, l’excellente voix Française de Lara.
Alors que faut-il retenir de cette Histoire de Tomb Raider ? Eh bien que même s’il se termine sur une déception et qu’il ne vaut pas le coup pour la partie Crystal Dynamics, il reste un indispensable, non seulement pour les fans de Tomb Raider mais aussi pour les fans de l’histoire du jeu vidéo de manière générale. Core Design était à l’intersection de Rare et de EA UK, sous le jouc d’Eidos et comportait de nombreuses personnes extrêmement talentueuses qui, avec Tomb Raider, on influé sur toute l’industrie. Le style est excellent - excepté certaines formules répétitives et pas forcément appropriées comme « la belle » -, l’aventure est passionnante et le chapitre d’Au Revoir à Core Design donne presque envie de pleurer, après avoir vécu 400 pages de passion et de douleur à leurs côtés. Alors oui, tout n’est pas parfait mais qu’importe : Alexandre Serel impose avec l’Histoire de Tomb Raider un nouveau standard qualitatif pour les livres du Jeu Vidéo. A lire absolument.