Tant le film que le roman de L'Histoire sans fin, sont de puissants objets magiques (voire occultes, si l'on veut utiliser les termes de messieurs Ouellette et Berthiaume du 7ème Antiquaire). L'un comme l'autre, en parfaites œuvres métadiscursives mettent en scène ce que Jospeh Campbel appelle « le Parcours du Héros », héros que son essais le plus célèbre souligne comme étant « aux mille et un visages ». Et plus précisément, le double récit de Michael Ende met en scène ce moment magique (j'utilise ici le terme à son sens premier) de la lecture ou du visionnage de cassette vidéo : ce moment où le lecteur / spectateur se projette dans la quête du héros, devient et est ce héros.
Implicitement, l'on comprend alors qu'Atreju est Bastien et que Bastien est Atreju. Symboliquement et par la métaphore, les épreuves vécues par le jeune héros à la peau verte, Atreju, dans le monde imaginaire de Fantasia, sont les épreuves que le jeune garçon un peu grassouillet (il l'est dans le livre) doit vivre dans le monde réel.
La scène la plus importante cristallisant cette idée dans une image forte est celle de la troisième porte de l'Oracle, celle au miroir magique. Le jeune héros, chasseur de bisons, portant l'Auryn et qui vient de survivre à de nombreuses épreuves, se retrouve devant la plus difficile de toutes. Car le miroir te montre ton reflet le plus vrai, il te met face à toi même. Nombreux sont ceux qui face à cette image n'ont pas frémi, fui ou péri ! Aussi lorsqu'Atreju s'avance, l'on tremble quelque peu avec lui à l'idée de ce qu'il pourrait découvrir.
Or le voilà face au miroir. Et ce qui s'y reflète, c'est un jeune garçon, rondouillard, en tailleur dans un grenier sombre, éclairé par des bougies et tenant ouvert un épais livre relié. Bastien Balthazar Bux lisant L'Histoire sans fin.
Et cette image, puisque Atreju est la projection métaphorique du lecteur s'emparant de L'Histoire sans fin, ici Bastien, met alors ce lecteur face à lui-même ; Bastien face à lui-même ; et par écho supplémentaire, moi lecteur ou spectateur face à moi-même. Si l'on est comme Bastien, un garçon grassouillet, rêveur et maladroit (on peut être toute autre chose qui nous semble un handicap, même de façon confuse), s'évadant dans les histoires de figures héroïques, voilà une épreuve qui peut paraître bien difficile. Or, pour Atreju, qui lui est le héros, et qui n'est pas sujet mêmes critères sociaux et autres préjugés arbitraire, cela n'a d'importance. Il est qui il est. Il n'en a pas peur.
Pour messieurs Berthiaume et Ouellette, l'on peut entendre, lorsque l'on prononce le nom d'Atreju, l'anglais « a true you » (« un vrai toi »), voire « a through you » (« un à travers toi »). Atreju est alors ce vrai toi ; et il voit en même temps ce vrai toi à travers toi, au-delà des apparences. Cet épisode du miroir a lieu dans le roman peut-être à un tiers seulement du récit. Et si Atreju passe l'épreuve, il faudra encore plusieurs rebondissements avant que Bastien intègre entièrement la leçon (après avoir changé d'apparence un moment pour correspondre à l'idée – fausse – qu'il se faisait d'un héros).
Te voilà à ton tour devant ce miroir. Et si tu veux avancer, il faudra y regarder sans détourner les yeux. Que vois-tu ? Est-ce que celui que tu es correspond à l'idée que tu te fais de toi ? À l'idée de ce que tu voudrais être ? Ou plus exactement ce que tu crois devoir incarner pour être un individu valable, acceptable par ses pairs ? Comprends bien alors que Bastien, même ce petit garçon à l'embonpoint, est lui aussi le héros. Et n'est héros que celui qui se sait lui-même et s'accepte tel.
Ne ferme pas les yeux, ne détourne pas le regard. C'est bien toi. Et dans cette aventure qu'est ta vie, il n'y a nulle autre héros. Tu peux avoir confiance en ce vrai toi.
Gemme : Ego / Lanterne : Foi