Mon titre étant choisi, attention quand même car de Cathares il n’est point question dans ce roman, bien que la région et l’époque correspondent. Si l’auteur, Henri Gougaud, ne parle jamais de catharisme, c’est probablement parce qu’alors le mouvement est sur sa fin. Ce choix contribue à retranscrire ce qu’on peut imaginer de l’époque. Le catharisme n’est pas mort, mais il a tant subi que ses partisans se font aussi discrets que possible.
L’histoire nous est contée par Bernard de l’Auradieu, élève de Simon Garric (L’homme à la vie inexplicable). Bien entendu, un tel titre amène à se poser la question : pourquoi la vie de Simon Garric est-elle inexplicable ? Eh bien… je n’ai pas vraiment d’explication ! Disons une interprétation. Bien que doué d’une personnalité assez forte (s’affirmant avec les années et les événements), l’homme a beaucoup plus réagi à ce qui lui arrivait que décidé de sa vie. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir un personnage hors normes.
Ainsi, la vie sentimentale de Simon Garric suit une destinée assez improbable. Amoureux jeune de Brune, charmante jeune fille de condition assez élevée et partageant ses sentiments, Simon passe le plus clair des quelque 250 pages du roman à marcher sur ses traces sans la rejoindre. Ce fil conducteur du roman permet de nombreuses rencontres, notamment celle de Fabrissa, jeune femme ni spécialement séduisante ni d’une moralité exemplaire. Autant dire que lorsqu’elle décide de suivre Simon, elle sort d’un ruisseau où elle aurait logiquement dû finir ses jours. Si Fabrissa suit Simon, c’est qu’il a eu un geste de compassion envers elle, ce qu’elle n’avait plus observé depuis une éternité. Une attitude étonnante qui la trouble. Simon s’ingénie ensuite à dissuader Fabrissa de trop l’approcher, parce qu’il ne pense qu’à retrouver Brune.
L’évolution morale de Simon est tout aussi imprévisible. Étudiant de retour chez lui en 1311, il découvre sa mère injustement accusée d’hérésie sur le point de se faire incarcérer. Ayant l’assurance de pouvoir poursuivre ses études en toute quiétude s’il livre quelque hérétique à l’Inquisition, Simon envisage la voie du cynisme. Les circonstances lui font rencontrer une femme (dame Jordane) qu’il pourrait ainsi livrer. Or, c’est d’elle qu’il finira par apprendre ce qui fera de lui un autre homme. Ces connaissances n’ont rien de mystérieux, contrairement à ce que certains croiront (je pense à Sicard Font-Rouge, brigand avide de pouvoir), puisqu’il s’agit de la sagesse. Une sagesse qui imprègne le roman, sans faire oublier la propension de Simon à l’aveuglement (voir sa pratique des relations hommes/femmes). Extraits choisis :
" - A quoi reconnait-on un égaré, dame Jordane ? A ce qu’il ne suit pas le chemin que les peureux aimeraient lui voir suivre ?
- Non, fils. A ce qu’il en vient à maudire sa propre vie, sur le chemin où il est."
"Quel homme de mauvaise foi ai-je été pour avoir cru mon malheur infini dans cette vie où rien n’est durable ni sûr, sauf les changements et retours incessants des êtres, des sentiments, des corps, des saisons et des jours !"
"Il ne sait rien des femmes. Il ne sait pas qu’elles peuvent faire leur maison dans la main d’un homme, pour peu qu’elle leur soit tendue. Il ne sait pas qu’elles sont capables de marcher jusqu’au bout du monde pour un regard qui les fasse vivre. Il ne sait pas qu’elles savent attendre comme aucune bête ne le peut."
"Regarde-toi, Garric (discours intérieur), regarde ton âme embourbée, tu n’es qu’un loup à face d’homme, comme un voleur tu t’en es allé sans un mot de merci ni d’espérance, sans aucune promesse de retrouvailles, sans un regard qui dise : sois en paix, tu m’as appris l’amour véritable."
Pour retranscrire l’ambiance du XIVè siècle, l’auteur parsème ses descriptions de nombreux détails qui sonnent justes. Par contre, son choix d’utiliser quelques tournures de phrases façon vieux français manque de naturel. Autre regret, le choix du narrateur, seulement justifié par les circonstances de la rencontre entre Bernard et Simon. C’est surtout le moyen d’entretenir une certaine forme de suspense.
Né à Carcassonne en 1936, poète, chanteur, conteur et écrivain amoureux de sa région et de son histoire, Henri Gougaud propose ici un roman d’éducation dont les défauts ne doivent pas faire oublier les qualités. Le meilleur est à mon avis dans la partie centrale, en pleine forêt, quand Simon Garric meurtri dans sa chair, prend le temps d’écouter et d’apprendre, soutenu par deux femmes dont il n’attendait rien. Illustrant l’adage qui dit que l’homme est un loup pour l’homme, le roman montre que la rencontre avec les loups (Font-Rouge n’en étant qu’une forme humaine), peut illuminer une vie pour peu qu’on oublie leur sauvagerie au profit de leur instinct naturel (impossible de tricher avec eux) et de leur sens de l’organisation.