Biopschitt
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le 4 oct. 2019
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Tenant d’une forme d’écologie intégrale Charbonneau fut un des premiers cadors français de la décroissance. En 1960 il jetait dans ce texte court et ardu les bases de l’homme libre puisque écologique, écologique puisque libre, libre si et seulement si situé dans un temps et dans un lieu, bref, le contraire de notre écologisme cuisiné façon rose-rouge-vert.
Pour l’auteur l’Homme se situe au point d’intersection entre temps et espace avec comme unique choix soit de l’organiser, soit de le laisser à l’abandon, de sorte que chaque fois qu’il les perd, « chaque fois que l’espace et le temps lui manquent, l’Homme englouti dans l’inconscience, la matière ou la masse, retourne à la confusion originelle ». Charbonneau s’interroge sur ces notions élémentaires qui englobent tout le reste, face à l’Histoire qui nous traque « tandis que l’espace humain se condense en un globe fini et surpeuplé, qui n’a plus que quelques heures – quelques minutes – de tour, il éclate aux dimensions de l’Univers interstellaire. ». Le temps n’existe pas pour l’inconscient ni pour la plus large part de notre existence que nous abandonnons au devenir. Le monde et son activité nous absorbent : « nous n’avons pas le temps », nous sommes pris. Des habitudes nous endorment, ou de grands événements se produisent, qui distraient notre attention. Si les nations et l’Humanité se croient volontiers éternelles, l’homme solitaire sait qu’il vit sous le signe d’un temps dont la première heure sonne à sa naissance et la dernière à sa mort.
« Le rythme d’une existence humaine est celui d’une tragédie dont le dénouement se précipite » et Charbonneau de poser la question de l’utilité de chercher à prolonger formellement la vie, donnant que sa durée n’est que celle de son intensité. Si l’Homme parvenait à conserver indéfiniment sa vie, ça serait dans le « bourdonnement de l’habitude », dans une forme de somnolence hivernale. L’Homme peut végéter des décennies et ne vivre qu’un instant, quand « le réveille le spasme de l’agonie ». Le seul moyen d’allonger sa vie n’est donc pas en jouant sur le paramètre de la durée, mais c’est « d’y être présent par le geste, le sens et la conscience », donc de cesser nos fuites en avant. Si Sénèque avait déjà travaillé sur ce thème, Charbonneau l’actualise et le dépoussière.
Historiquement, en même temps que l’Homme découvre le temps il découvre qu’il lui échappe. L’Homme primitif ne connaissait pas d’histoire mais des légendes et l’avenir n’était qu’un concept vague, si ce n’était celui de la fin des temps. Ensuite l’Homme de l’âge classique méprisait le passé (sauf le passé Antique) et l’avenir lui restait relativement étranger, si ce n’était une vague utopie et finalement « il a fallu dix-huit siècles pour que l’homme s’accoutume à la prodigieuse nouveauté de cette Histoire irréversible, qui répète au niveau de l’espèce le drame de son histoire personnelle : tout d’abord, il n’eut pas plus le sens du temps historique qu’un enfant. Mais, même au niveau de l’histoire, le temps passe de plus en plus vite. ». Alors l’Homme se tourna vers son passé, mesurant l’immensité parcourue, puis méprisa son présent, plaçant ses espoirs dans « un avenir imprécis qui justifie pour l’instant tous les abandons, et achève ainsi de vider le présent de son contenu ». Nier le présent c’est nier les hommes et tôt ou tard les sacrifier, insiste Charbonneau.
L’exploration du monde a toujours été la grande affaire de l’humanité et aujourd’hui encore l’Homme est constamment porté, balloté, attiré d’un endroit à l’autre, d’une zone de la Terre à l’autre, dans un sentiment de liberté un peu dérisoire et falsifié puisqu’il tourne en rond. Pour Charbonneau l’Homme moderne rêve d’espace, de plus de place, mais « ce besoin n’est si vif chez quelques-uns que parce que le plus grand nombre s’accumule dans des sociétés surpeuplées et surorganisées : un univers sans espace qu’il faut bien appeler concentrationnaire. ». D’un côté l’Homme est tiré vers le mouvement, l’exploration et d’un autre il manque d’espace, et la liberté de l’Homme non dissoluble dans un non-espace, comme « le marin pouvait se risquer sur les mers, le bourgeois sur les routes, ils tenaient à un lieu : à des cités de pierre ancrées dans le sol par le poids de leurs murs et de leurs quais. La liberté se risque, mais se situe. »
L’espace et le temps sont mystère et conflit et il n’y a pas d’espace sans le départ de quelque point fixe car « le mouvement part d’un enracinement, – là où le monde actuel nous déracine afin de nous concentrer ». Pour partir, il faut un départ et pour se détacher, il faut une attache. « Toutes ces religions et ces philosophies du détachement n’édifient que du néant faute d’une base solide sur laquelle se fonder. » Celui qui ne s’est jamais attaché à rien ne peut se dépouiller et « que vaut la spiritualisation d’une âme dépourvue de corps » ? Et Charbonneau d’insister, à contre-courant de son époque et de la nôtre, sur la nécessité de nous enraciner quelque part. Voilà ce qui est selon lui la base de écologie vraie.
L’écologie véritable ne passera pas par le chaos mis en scène à la TV et encore moins pas le déracinement de l’Homme.
La liberté de l’Homme, si elle existe, doit se situer quelque part, en un lieu. Il lui faut donc une place mais « nos univers concentrationnaires éliminent la liberté en entassant les individus ; une société libre tendrait à les disperser, afin de leur permettre de se réunir librement : la maison plutôt que l’immeuble, le bourg plutôt que la ville, seraient les formes normales du groupement. ». Charbonneau rappelle évidemment qu’une décroissance de la population (à contre-courant des natalistes forcenés qui nous gouvernent depuis des décennies) et qu’un changement de paradigme économique sont indispensables à la réalisation de l’objectif.
Charbonneau (1910-1996), aux belles (petites) éditions RN
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le 22 févr. 2018
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