L'Homme-Rune
7.8
L'Homme-Rune

livre de Peter V. Brett (2008)

Avant de me lancer dans la critique proprement dite, j'adresse un avertissement aux potentiels lecteurs. Ici je considère que vous avez lu le livre, donc SPOIL massif. Vous êtes prévenus.


Cela fait, j'ai eu bien du mal à critiquer ce livre, il faut que je vous le dise. Mon ressenti est parfois très contradictoire tant le bon et le mauvais s'entremêlent. Ainsi j'ai décidé de scindé la critique en deux temps opposés: les défauts puis les qualités. Nous avons donc une critique digne d'une dissertation de philo de lycée. Désolé et bonne lecture.



Les défauts:




  • Commençons avec la première chose qui me fait tiquer lors de mes lectures: les clichés malhabiles. En première place nous avons Krasia, cette ville/région (?) désertique où évoluent une société de caste qui se bat contre les démons dans une sorte de sainte croisade. Les femmes sont vêtus de burka (appelez ça comme vous voulez ce n'est rien d'autre), les hommes sont souvent polygames et dominent la société à l'exception des guérisseuses, leur idée de paradis contient des foules de vierges, etc... Je n'ai pas besoin d'aller plus loin je crois. Krasia n'est ni plus ni moins qu'un tableau caricatural et dégoulinant du monde musulman. Et notre héro Arlen ne se prive pas de critiquer leur mode de vie sans plus de recul qu'un "les castes c'est mal et on est tous égaux". Je caricature encore mais on est pas loin de ça. Ce n'est pas tant le message véhiculé que la manière de l'introduire et de le présenter qui me pose problème.
    Et puisqu'on parle de religion on peut embrayer avec le cliché suivant. Si on a un simili monde musulman au sud on a un simili monde chrétien au nord. Ils partagent globalement les mêmes fondements idéologiques (oui comme les trois monothéismes). Là encore Arlen ne se prive pas de critiquer comme un petit idiot la foi des gens en affirmant d'un bloc que la notion de pêché (en gros les démons seraient la punition divine) c'est des conneries, que c'est plus ou moins une religion de lâche et qu'il faut se bouger au lieu de prier. Encore une fois c'est pas le message qui dérange, on peut parler de ce sujet sans soucis. Mais là on pose la petite critique et hop on passe à la suite. C'est un peu facile.
    Dernier cliché que j'aborderais ici, celui de la liberté. Alors là oui, thème logique dans un récit initiatique et émancipateur. Mais la subtilité s'il vous plaît! Arlen hurle à l'enfermement dès qu'il voit un mur et Leesha n'arrête pas de ruminer que le déterminisme social c'est pas cool. Bah oui merci les potes, mais si le message c'est que la liberté c'est juste faire ce qu'on veut... Bon... C'est qu'ils s'empêcheraient presque de s'envoyer en l'air par peur de plus être liiiiiibre! Les variations (qui varient bien peu) autour de ce thème manquent cruellement de subtilité et font un peu tâche d'encre sur les pages entraînante de ce roman.


  • Passons à la psychologie des personnages. On peut dire que l'auteur prend son temps puisque le premier tome consiste principalement à poser les fondements du récit futur. On voit en quelque sorte la naissance puis l'éclosion de nos trois protagonistes. Pour brasser autant d'années et d'événements, le rythme doit suivre et on a donc paradoxalement une impression de vitesse alors que c'est pas loin de 600 pages d'introduction aux personnages. De plus leur personnalité est assez peu flexible, voire monochrome. Pour prendre les protagonistes finaux (ceux des dernières pages) on a un "Arlen" en guerrier froid et torturé (bisou à Sasuke Uchiwa), Leesha en guérisseuse accomplie et forte en caractère (en gros vous prenez le personnage de Bruna et vous lui enlevez plusieurs décennies) et Rojer en troubadour mi-timide mi-aventurier. Mais leurs réactions sont d'un prévisible incroyable. Je ne pense pas avoir été surpris une seule fois par leurs choix. De plus, comme je le disais juste avant, tout s'enchaîne vite, le rythme est vif, et de ce fait les transitions psychologiques sont parfois... étranges. Leesha passe du choc post traumatique (cf: viol) à une attitude volontaire et curieuse envers l'Homme-Rune. Le livre se finit et on aurait presque déjà oublié qu'elle a passé le pire moment de sa vie quelques pages plus tôt. Idem pour la romance de Leesha, on la sent venir, certes. Mais je l'avais pas vu venir aussi vite! Il a l'air fascinant le Arlen/Homme-rune, je dis pas, mais quand même!


  • Pour les antagonistes qui mettrons des bâtons dans les roues de nos trois compères, la nuance sera encore moins présente. Leur caractère souvent ponctuel empêche en effet un développement conséquent mais bon... On aurait pu avoir mieux. Ils sont à peu près tous ennuyant. Gared est un benêt et on comprend donc qu'il soit traité comme tel par l'auteur, pourquoi pas. Mais la mère de Leesha... Si quelqu'un se comportait comme ça dans le village ( je pense ici aux chapitres de fin où sa mère est véritablement une ordure, pire qu'avant) il se prendrait quelques coups quand même, non?
    Il y a pas des pseudo chefs de village pour calmer les tarés? Ah si, mais que quand on le veut bien. Cependant, mention spéciale au Manchot, ce démon de pierre rancunier qui est l'image même d'une rage droite et indomptable.


  • La présentation de l'univers, malgré des mots qui se veulent violents, et finalement très soft pour un lecteur qui a de la route derrière lui. On nous parle de démons qui étripent à tour de bras mais on peine souvent à le ressentir plus que comme une simple info qui passe. On notera quelques exceptions où Brett se lâche un peu sur l'hémoglobine; mais du fait de la rareté de ces moments on se demande d'où ça sort. Comme une hésitation entre un récit sombre et un récit plus lissé. Le roman pâtit sans doute d'une volonté de brasser un public large. Le roman peut être lu par un adulte ou par un jeune adolescent, alors on fait quelques concessions je suppose.


  • Bon et l'univers de Brett, on l'a rapidement évoqué mais on en pense quoi? Bah malgré de belles trouvailles qui sont les points forts (runes, protecteurs, messagers, le Coeur, etc...) l'originalité n'est pas vraiment au rendez-vous. C'est que ces éléments, je pense ici aux runes, sont assez peu investis. On connaît peut-être le pouvoir précis d'une ou deux runes, pas plus. On nous dit juste qu'on fout des runes, que ça fait des trucs, cherchez pas plus loin. Donc oui l'univers n'est pas dénué d'intérêt mais on en voudrait plus. Les décors sont posés mais là aussi on va pas chercher le détail: là on fout du sable, là des prairies, là un lac, et paf on a un royaume.
    De même pour le bestiaire qui s'épuise vite (même si ça promet pour la suite). Quatre types de démons, des animaux communs et basta.
    Rajoutez à cela une légende historique somme toute très classique sur le thème religieux. Tout ça pour nous dire que le Libérateur est l'espoir et qu'il y avait avant des armes puissantes contre les démons. Merci on se doute bien qu'à un moment on va trouver un moyen de casser du démon, sinon c'est pas rigolo. Le tout plongé dans un monde de type médiéval. Donc si on cherche un souffle neuf c'est raté.


  • Pour ce qui est de la forme, l'écriture n'est pas renversante, ça fait le job comme il faut mais pas beaucoup plus. Disons que je serais bien incapable de reconnaître Brett si son nom n'était pas sur ses livres. Et malheureusement c'est peut-être ça qui est cause de tous les clichés et défauts que j'ai souligné ci-dessus. Donc oui le job est fait mais guère plus. Néanmoins, un petit plus pour les combats de l'Homme-Rune, l'impression de puissance est plutôt sympa.



Mais est-ce que ça empêche d'apprécier l'oeuvre?



Les qualités:




  • Je parlais d'un rythme qui ne perd pas son temps et c'est vrai. De plus cette triple narration permet une certaine tension, on veut savoir ce qui arrive aux autres et on s'inquiète même un peu parfois. Ils ont beau être un peu caricaturaux, on les aime bien. Le fait que l'on accompagne les personnages dans leur évolution allant de l'enfance à l'âge adulte rend le tout diablement attachant. C'est un peu comme cette série pas extraordinaire que vous regardez mais bon, ça fait deux saisons que vous suivez les personnages, donc vous avez envie de connaître la suite. A force de côtoyer quelqu'un on s'attache un peu à lui.


  • Le principe des runes est plutôt sympa il faut le dire. Ca permettrait une dimension stratégique dans les combats avec des combos de runes par exemple, ou même une utilisation ingénieuse de celles qu'on connaît. Mais paradoxalement, comme je l'ai dit plus haut, c'est peu développé pour l'instant. On a quand même de la stratégie je vais pas exagérer, mais ça tourne pas vraiment autour des runes. Donc à fouiller, mais sympa.


  • La description du monde rural est plutôt bien faite, le rendu des ambiances de village est propre, on aurait presque une éloge pastorale si ce trouble-fête d'Arlen ne venait pas tout gâcher avec ses bougonnements. Bon je comprend qu'il ait envie de plus que ça, de même pour Leesha. Puis sinon on aurait pas d'histoire. Mais avouez que si on enlève les démons c'est plutôt sympa vos petits bleds!


  • Le sentiment de peur contre lequel Arlen s'érige est lui assu bien servi. La peur omniprésente des habitants de ce monde vis-à-vis de la nuit, synonyme de malheur et de mort. Et on nous propose même une belle figure de la peur à travers le père d'Arlen, celui qui affirmait qu'il braverait les démons pour sa famille mais qui reste pétrifier face au désastre. Arlen prend l'autre chemin, celui du combat. D'ailleurs faudra m'expliquer comment un gamin peut être aussi couillu à 10/11 ans, mais c'est plutôt jouissif.


  • Enfin et surtout, c'est un livre qui se dévore. Vous courez page après page sans vous arrêter. C'est typiquement le page-turner ultra efficace sans être un chef d'oeuvre du genre. Et c'est bien pour ça que ma note est si élevée malgré les nombreux défauts que je peux trouver au roman. C'est qu'ici j'ai vite compris que je ne trouverais pas ma prochaine Horde du contrevent ou mon prochain Le Nom du vent. C'est un divertissement de qualité qui n'a pas vocation à être plus qu'un bon page-turner. Et dans ce domaine il est très bon. L'écriture de Brett est certes un peu générique, mais finalement on veut seulement voir le récit se dérouler sous nos yeux. Et on s'habitue à cette forme moyenne, je n'ai que rarement haussé les sourcils devant des phrases qui faisaient tâches. Et je sais bien que la traduction fait perdre une bonne partie de l'essence du style de l'auteur, mais je doute que la VO soit flamboyante.




Conclusion:



Finalement on aime bien, on le prend comme ce qu'il est et ça passe tout seul. On espère que l'auteur saura développer les quelques points intéressants de l'univers qu'il propose dans la suite de ce cycle. Cependant, avec les derniers chapitres qui annoncent une sorte de croisade, j'ai bien peur de voir surgir le thème de la guerre sainte. Et j'ai peur que Brett n'ait pas la subtilité nécessaire au bon traitement de ce genre de chose, mais on verra bien!

Simon_Findor_Ri
7
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs livres de fantasy et Mes livres de 2017

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le 1 mai 2017

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Simon_Findor_Ri

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