Roman de Silverberg publié en 1975, juste avant qu'il n'annonce sa retraite, dégouté qu'il était du monde mercantile de l'édition. La retraite à 40 ans, le bonheur ! Heureusement pour ses lecteurs, il est revenu sur sa décision après quatre années de repos, repos certainement bien mérité car quelque chose me dit qu'il a du pas mal profiter de la vie et de ses plaisirs divers et variés au début des seventies. En même temps, cela n'a pas affecté sa longévité, puisqu'il est toujours en vie et âgé de 86 ans. Repos en tout cas indubitablement salutaire, puisque c'est après ce break qu'il a entrepris son fameux cycle de Majipoor.
L'homme stochastique est quoi qu'il en soit pétri des qualités tant littéraires que visionnaires de son auteur. Ça se passe en 1999, et si Silverberg avait peut-être anticipé les choses de quelques décennies, le monde qu'il décrit est assez joliment proche de celui qui est en train de nous tomber dessus. Même s'il y a quelques écarts, s'agissant notamment de la liberté des mœurs (encore que...), du moins pour celle qui peut s'afficher socialement parlant. Pour le reste, j'entends la société de catastrophes et d'événements imprévus, les inégalités et la classe politique, c'est bien vu avec 50 ans d'avance. Ce qui est tout à fait saisissant, d'ailleurs, étant donné le sujet du bouquin dont le protagoniste principal a fait sienne la profession de prédire l'avenir.
Il faut reconnaitre tout de même que le début est parfois un peu poussif et se lit avant tout comme une charge au vitriol contre les politiciens. Si ça en était resté là, ça aurait fait un bouquin honnête mais pas totalement original. Sauf que le sujet de la divination va prendre peu à peu le pas sur l'environnement sociétal et que là, ça devient franchement éblouissant. Avec une magistrale réflexion sur le destin, le fatalisme, le libre-arbitre et tutti quanti. Avec un personnage principal (qui est aussi narrateur, le livre est écrit à la première personne) qui va progressivement sombrer dans la folie et dans la solitude alors qu'il acquiert peu à peu le don de connaitre son avenir, jusqu'à sa propre mort. Qui soit dit en passant pourrait bien intervenir à un âge très avancé, comme celle de l'auteur (à qui je souhaite de tout cœur de connaitre encore quelques belles années). Mais connaitre son avenir implique-t-il de pouvoir le changer ?
Pour conclure, un bouquin qui méritait bien d'avoir sa vraie couverture sur SC.