L'Idiot
8.4
L'Idiot

livre de Fiodor Dostoïevski (1870)

La capilarité des images dans L'Idiot

Dans L’Idiot, j’ai été saisi par quelques pages en particulier (celle autour du condamné à mort, celle de la crise épileptique, celle au sujet des enfants, etc.) et ces pages ont, d’une certaine manière, positivement contaminées l’ensemble du long roman de Dostoïevski.


Je m’imagine un documentaire portant sur l’escalade d’une très haute falaise par un.e alpiniste. J’imagine que, pendant la presque totalité du film, il n’y a pratiquement aucune image spectaculaire (un plan, par exemple, rapprochant le corps avec l’immense vide qu’il surplombe), mais que le sentiment général de l’escalade vertigineuse n’est donné, aux spectateur.ices, que par deux ou trois plans particulièrement saisissants. Un tel documentaire parlerait du vertige, sans pratiquement jamais montrer ce vertige et il suffirait de quelques photogrammes pour polluer, en quelque sorte, l’ensemble de la pellicule.


L’Idiot a marché ainsi pour moi. Des pages et des pages m’auraient sembler une purge ennuyeuse si elles n’étaient pas justifiées par ces quelques séquences bouleversantes et archétypales (contenues, surtout, dans les deux premiers livres).


Ce que je veux dire ce n’est pas que L’Idiot ressemble à ces romans qu’on ne lit pour ne lire que deux ou trois pages, mais que deux ou trois pages suffisent, dans L’Idiot, à donner le rehaut nécessaire à l’ombre de l’ensemble. Plus que dans Les Démons ou dans Les Frères Karamazov (les deux seules œuvres monumentales que j’ai lu de Dostoïevski), j’ai eu le sentiment de ce redoutable pouvoir de l’écriture de murmurer en nous. Les pages tournées n’arrêtent pas de chuchoter, comme un écho qui mettrait très longtemps à retomber et habillerait l’ensemble de quelque chose de ténébreux et pénétrant.


Au fond, je crois que ce qui me fascine le plus dans L’Idiot, est la maestria de Dostoïevski dans la capillarité des images en littérature. Ces quelques scènes reviennent, obsédantes, pendant la lecture et fonctionnent un peu comme ce fond de café qui remonte dans le sucre, irrésistiblement. Il ne faut pas beaucoup de liquide pour colorer un cube de sucre entier et il ne faut pas beaucoup de pages à Dostoïevski pour en densifier mille.

Romain_Lossec
9
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Créée

le 29 janv. 2023

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Oscar Semillon

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