Margarita est une île paradisiaque, prisée des touristes, vénézuélienne de par son identité, caribéenne de par sa géographie et son rythme de vie. Un restaurateur allemand est mort par noyade, sa vieille mère débarque sur place pour connaître les véritables causes de ce décès, qu'elle juge suspect. L'enquête, menée par un avocat local, commence. L'île invisible serait donc un roman policier ? Que nenni; Francisco Suniaga, lui-même natif de Margarita, et venu tard à la littérature, nous offre un petit bijou littéraire aux confluents de bien des genres, en brassant toute une panoplie de thèmes : la signification des rêves, l'addiction (aux combats de coqs), les illusions perdues (pour d'anciens communistes), la violence derrière la langueur, le choc des cultures, etc. Le plus étonnant est la façon dont Suniaga glisse d'un personnage à un autre, de façon feutrée, élégante et naturelle et s'offre des digressions psychologiques ou philosophiques, comptant sur le lecteur pour le suivre dans ce qui se révèle être un portrait sensible, fascinant et réaliste d'un petit bout de terre qui derrière une façade exotique dissimule sa secrète nature. Le livre est d'une incroyable fluidité, portée par un style ondoyant, vaguement ironique dans une noirceur qui contraste avec la somptuosité des paysages. Un roman magnifique et envoutant, peuplé de personnages ambigus à l'âme tortueuse, admirablement campés. Ce livre complexe et pourtant d'un abord facile est la perle "invisible" de la rentrée littéraire.