il faut savoir terminer une grève !

ce ne sera pas une critique de l'Iliade. Pas fou !

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...ni une critique de la traduction de Brunet ( je ne cause pas le grec ancien ).

Juste un mot sur un aspect de l'Iliade, en passant : le temps.

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Un auteur qui aborde une histoire immense se heurte vite à la question : par où commencer, quel bout de la pelote tirer ?

Raconter en mode speed des évènements qui courent sur des décennies ?

faire du résumé ?

Ellipser d'époque en époque en découpant une petite tranche par-ci par-là ?

faire du non-chronologique en sautillant au gré des vents ?

Homère, dans l'Iliade comme dans l'Odyssée, choisit une période courte - une tranche temporelle unique, minime au regard de la durée de la guerre de Troie, ou des 20 ans d'errances d'Ulysse pour rentrer chez lui ( dont pas mal d'années plutôt cosy chez Calypso et Circé, au fait ).

Homère pose le doigt sur un moment.

Pas nécessairement celui où se passent le plus de péripéties, en fait :

Le cheval de Troie, le cyclope, la mort d'Achille, Charybde et Scylla, le débarquement des grecs sur les plages troyennes, les sirènes : rien de tout ça ne se produit dans le laps de temps choisi.

Imaginez un cinéaste qui ferait Titanic sans montrer le naufrage, sans un poil d'iceberg ?

C'est Homère.

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En cela, il est beaucoup plus moderne que nous, quelques presque 3 000 ans avant nous. Beaucoup plus radical et audacieux.

Plus tard, pour écrire l'Odyssée, il placera toute la temporalité entre la fin du séjour d'Ulysse chez Calypso et son rétablissement sur le trône d'Ithaque : les aventures fantastiques qu'on considère tous comme l'essence de l'Odyssée ont déjà eu lieu, et ne nous sont communiquées que par un récit que fait Ulysse chez Nausicaa. L'Odyssée d'Homère tient dans un mois à peine, sur les presque 20 ans de son absence : le dernier mois de son périple.

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...mais notre sujet, ici, c'est l'Iliade.

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Pour l'écrire, Homère a fait un choix encore plus tranché :

Des 10 ans que dura cette guerre, il ne nous raconte ni le début, ni la fin, il choisit les 6 jours continus de la grève d'Achille, et un jour détaché, celui des funérailles d'Hector, 12 jours plus tard.

Ces funérailles exceptées ( qui viennent comme une sorte d'apaisement, de quasi-remédiation après les violences des crises enchaînées pendant les 6 jours ) on a presque une continuité, un sentiment de temps réel.

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Sans s'attarder à trop détailler l'histoire que vous connaissez tous ( en plein siège de Troie - qui dure depuis bientôt 10 ans ! - le roi grec Agamemnon doit restituer une de ses captives à son père prêtre d'Apollon qui répand la peste dans les rangs de l'armée grecque - et, pour se dédommager, Agamemnon confisque l'esclave favorite d'Achille, offensant ce dernier, qui se trouve être son meilleur guerrier - c'est maladroit . Achille se met en grève - et sa troupe de myrmidons avec lui - permettant aux troyens de prendre l'avantage. mais ne dévoilons pas la suite, pour les heureux qui ne l'ont peut-être encore jamais lue ni entendue - ça existe ? ), sans entrer dans les détails, on se trouve dans un temps suspendu :

malgré les ordres, les supplications, les récits des malheurs de ses compatriotes, Achille refuse de bouger, et on assiste en quelque sorte à la bataille depuis sa tente ( pas à 100%, mais c'est l'effet produit ).

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Bien sûr, il y a des péripéties, avant, pendant, après, mais le nœud du drame, le plus stressant, le plus intense, c'est ce moment immobile, cet à-l'écart de la bataille qui gronde, ces cris des morts qu'on entend à travers la toile de tente, ces myrmidons d'Achille qui voient les combats de loin, sans pouvoir y participer, qui voient l'armée ennemie s'approcher de + en + du camp grec, et Achille offensé qui boude superbement.

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Cet attachement à nous faire vivre un moment suspendu, on le retrouvera dans l'Odyssée ( différemment ) avec Télémaque bloqué par l'absence de son père, et surtout l'incertitude : mort ou vivant ? plus rien ne pouvant avancer, le palais d'Ulysse étant comme une bulle temporelle dans laquelle les prétendants, prêts à s'emparer du trône, retenus uniquement par l'équilibre de leurs rivalités, mangent et boivent jour après jour en exigeant de Pénélope qu'elle épouse l'un d'eux, Pénélope qui entretient le chronopiège en faisant et défaisant jour et nuit son tissage.

Temps suspendu aussi pour Ulysse hôte "captif d'amour" de la nymphe Calypso. Et, dans l'Iliade comme dans l'Odyssée, un évènement va briser ce temps mort et permettre aux aiguilles de se remettre à tourner ( non, je sais bien qu'il n'y avait pas d'horloges, alors disons : permettre à la clepsydre ou au sablier de recommencer à s'écouler ) et à l'histoire de s'accomplir enfin.

Ces moments arrêtés sont trop bien choisis, trop bien réglés pour être là par hasard :

c'est nécessairement une préoccupation majeure d'Homère, sa signature; je ne crois pas que les autres grands récits grecs reposent autant sur ce principe ( mais ne vous gênez pas pour me contredire ! )

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On peut s'interroger sur ces chronologies si serrées, ces effets de quasi temps réel :

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était-ce une convention artistique, comme plus tard l'unité de temps et de lieu ?

Les chants de l'Iliade et l'Odyssée étaient-ils à l'origine récités pendant un nombre donné de jours, et donc calibrés pour ça ? Une journée du récit en une journée de récitation ? L'Iliade déroulée par l'aède sur 7 jours de performance ?

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Je me pose la question, sans avoir les outils pour y répondre.