Vendredi soir dernier, à l'anniversaire d'une amie dont le copain est en master de philosophie, j'ai discuté avec ce dernier de Milan Kundera, dont il s'agit du premier livre écrit de sa main que j'ai lu, non sans difficulté, pour faire dans l'euphémisme douceâtre. Après avoir jeté des yeux émerveillés sur sa bibliothèque plutôt conséquente, la conversation s'est à peu près déroulée de la manière suivante (la première prise de parole est la mienne) :
- Tiens je ne sais pas si tu connais Milan Kundera, ou si tu as déjà lu quelque chose de lui. Depuis trois semaines je suis sur son fichu bouquin, 500 pages à peu près et je n'en vois pas le bout.
- Ah, ben merci !
- Comment ça ?
- Je comprends pas pourquoi tout le monde trouve que cet écrivain est génial, ce mec est largement surestimé...
- En vrac, son livre est chiant, et en plus il a une dent tellement grosse contre le communisme qu'il faut qu'il la ramène dessus tout le temps, alors qu'il n'y a aucun rapport direct avec le récit (une fois ça va, dix fois il y en a marre)
- tu verrais ses critiques littéraires, c'est tout aussi nul, du verbiage sans intérêt.
- Eh bien je m'abstiendrai de lire le reste, j'ai déjà assez donné de mon temps comme ça.
De toutes mes lectures de l'année, celle-ci fut de loin la plus pénible, une traversée du désert littéraire. L'intention de l'auteur est cependant louable : écrire une fiction qui sorte des codes traditionnels du domaine, en bousculant les lignes conventionnelles de telle sorte qu'un livre pareil soit par exemple inadaptable à l'écran. Pourquoi pas, on peut lui reconnaître la tentative, c'est par ailleurs ce qui m'a empêché de lui mettre la note la plus basse. L'Immortalité aurait pu être un livre seulement ennuyeux, inintéressant, avec une histoire racontée de façon si monotone qu'elle a été à l'origine d'au moins quatre siestes entre 14h et 16h. Malheureusement, il aura fallu qu'en plus de nous servir de la soupe léthargique Kundera se mette à exposer des opinions dont l'aigreur et la prétention finissent par taper sur le système des âmes les mieux intentionnées.
La prétention se trouve déjà dans le titre du livre... L'Immortalité. Titre bref mais ô combien intriguant, car porteur de possibilités vastes. Un seul mot suffit à être alléchant, et on ne peut s'empêcher de songer à sa lecture à toutes les digressions philosophiques qu'il recouvre. D'autant plus que ce livre, au titre prometteur, censé avoir été rédigé de la main d'une personnalité estimée, reconnue, dont on se dit que l'âge avancé lui a permis d'apprendre beaucoup de choses sur la vie, tout en ayant des idées inspirantes sur la mort. Peut-être, pourquoi pas. Cependant, c'est extrêmement décourageant de se rendre compte que vieillesse ne rime pas nécessairement avec sagesse, mais parfois avec emporte-pièce. Kundera ne nous apprend strictement rien qui ne mérite la peine d'être retenu, en se contentant de tirer le portrait de personnages exaspérants dont on se contrefout, parce qu'on en croise suffisamment dans notre vie quotidienne pour ne pas vouloir les retrouver à chaque ligne d'un gros pavé.
Tentons malgré tout de faire un résumé exhaustif des histoires, parce qu'il y en a plusieurs : s'entremêlent dans L'Immortalité différents récits sur des personnages historiques, et d'autres inventés pour les besoins du récit. L'arc principal du livre est consacré à Agnès, femme créée toute entière à partir d'un geste qui a particulièrement ému Kundera, geste dont il vous rabâchera les oreilles tout au long du livre. A côté se trouve sa soeur, Laura, femme hystérique qui passe sa vie à recopier l'aînée et Paul, le mari de Agnès, chantre de la modernité, du paradoxe, pourfendeur du conservatisme. Qu'est-ce qu'ils font ? Rien. Ils vont faire des courses chez Fauchon, ils parlent dans des dialogues creux, ils font l'amour sans en avoir envie, puis en ayant très envie en se cocufiant. Les autres arcs concernent : Goethe qui a rejeté toute sa vie une femme nommée Bettina, le professeur Avenarius qui se tape un trip de partouze avec des mannequins de vitrines dans des boutiques vestimentaires (qui a couché avec Laura, forcément) et tient le rôle privilégié d'interlocuteur du narrateur interne, en l'occurence Milan Kundera. J'ai failli oublier, un Rubens transposé au 20ème siècle qui se tape des tas de femmes, entre réflexion intense et "prouesses athlétiques". Tout le reste n'est que tartines d'élucubrations pontifiantes, et on tient là 500 pages aussi douloureuses que lénifiantes.
Le trophée de la contemplation nombriliste est décerné à ce merveilleux passage où Kundera tape sur les romans trop conventionnels, pour dire à quel point le sien est tout bonnement génial. Morceaux choisis : "Je regrette que presque tous les romans écrits à ce jour soient trop obéissants à la règle de l'unité d'action [...] La tension dramatique, c'est la véritable malédiction du roman parce qu'elle transforme tout, même les plus belles pages" (Comme celle de dire vingt fois qu'un geste de la main est transcendant, par exemple). "J'attends impatiemment la sixième partie. Un nouveau personnage va surgir dans mon roman. Et à la fin de cette sixième partie, il s'en ira [...]. Il n'est la cause de rien et ne produit aucun effet. C'est justement ce qui me plaît." Ah, que c'est bien d'écrire dans son propre roman qu'on trouve que le roman qu'on écrit est si justement bien fait !
Sans m'attarder plus sur les effets de fond qui consistent à racler du sable, j'ajouterai en outre que les métaphores sur "le viol des femmes" sont dégueulasses venant d'un vieux débris, que l'abus de parenthèses nuit profondément à la lecture, et enfin qu'il est inutile de nous servir un titre montagne pour accoucher d'un récit souris.