L'Impossible
7.9
L'Impossible

livre de Georges Bataille (1962)

"Je m'approche de la poésie : mais pour lui manquer"

Que reste t-il de la lecture de L’Impossible ? Quels discours communicables et intelligibles peuvent être produits ? La question ne se limite surement pas à ce seul livre de Bataille, mais ce sentiment que L’Impossible tente de mettre en jeu une pensée quasi-indicible est plus insistant qu’autre part.


Les récits présents sur les deux premières parties sont particulièrement fragmentés, tandis que la troisième présente des poèmes. Au fur et à mesure de la lecture, l’écriture s’étiole de plus en plus pour atteindre une forme de sobriété, mais non de concision, comme si toutes ces phrases ne se suffiront jamais à elles mêmes.



" Réfléchis cependant. Rien ne peut t’échapper désormais. Si Dieu n’est pas, cette plainte déchirée dans ta solitude est l’extrême limite du possible : en ce sens, il n’est pas d’élément de l’univers qui ne lui soit soumis ! elle n’est soumise à rien, domine tout et n’en est pas moins faite d’une conscience d’impuissance infinie : du sentiment de l’impossible exactement ! "



Soit un manque opère (le narrateur ne cessant de tenter de cerner B.), soit un excès causé par une expérience (solitude, ici) fait fuir le narrateur, ne permet pas à celui-ci de s’installer dans ses certitudes (si il en avait…). Il n’y a pas de repos. Lacan, introduit dans son enseignement l’objet a. Cet objet est la jouissance perdue (en tout cas pour le sujet névrosé) que l’enfant a pu connaître dans ses premiers rapports au monde, perte ayant lieu quand il se rend compte que la personne avec laquelle il expérimentait le plus ces rapports de jouissance est appelée par autre chose.


Il ne s’agit pas de considérer que l’objet a, c’est l’Impossible, mais cet objet perdu (dont le sujet névrosé cherchera toujours à atteindre, sans succès) permet d’approcher cette dimension d’impossibilité. Cette dimension, comme l’objet a empêche une expérience de finir, de trouver une conclusion. Et curieusement cet état n’est pas totalement négatif. L’impuissance évoquée amène vers une incomplétude (soit je n’atteins pas B., soit l’expérience excède mon écriture) permettant un rapport avec un "infini" (le mot est assez mauvais).



Il y a devant l’espèce humaine une double perspective : d’une part, celle du plaisir violent, de l’horreur et de la mort – exactement celle de la poésie – et, en sens opposé, celle de la science ou du monde réel de l’utilité. Seuls l’utile, le réel, ont un caractère sérieux. Nous ne sommes jamais en droit de lui préférer la séduction : la vérité a des droits sur nous. Elle a même sur nous tous les droits. Pourtant nous pouvons, et même nous devons répondre à quelque chose qui, n’étant pas Dieu, est plus forte que tous les droits : cet impossible auquel nous n’accédons qu’oubliant la vérité de tous ces droits, qu’acceptant la disparition.



L’utilité a avec elle tous les atours de la nécessité (d’ailleurs il est curieux que Bataille lui oppose la séduction), si bien qu’il est difficile de s’y soustraire, de ne pas s’engager dans une quelconque œuvre ayant des effets bien identifiables et concrets. Or ce projet ne tient que si on ne considère pas cet impossible, une incomplétude qu’il serait impossible de compléter, d’épuiser (là où l’utilité a une fin, un but). Bataille ne parle pas de Dieu (l’impossible n’est pas inatteignable, en on fait une expérience qui est immanente), mais peut-être de la place vide laissé par le Dieu mort, ce que nous devons penser a la place de sa mort. Pensée qui ne peut que s’exprimer contre une idée de finalité, médiatisée par la poésie. Celle-ci s’occupant de la perspective du plaisir violent, de l’horreur et de la mort, précisément les trois sujets abordés dans les récits constituant L’Impossible.

Heliogabale
8
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le 9 juil. 2015

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