L'Imposture, le premier roman historique de Zadie Smith, est une belle réussite, ce qui n'étonnera pas les fidèles lecteurs de cette fine plume, depuis Sourires de loup. Nous voici donc plongé dans l'Angleterre victorienne, encapsulée dans un roman malicieux et profond qui ausculte l'état d'un pays qui est loin d'en avoir terminé avec le colonialisme, même après la fin de l'esclavage. L'autrice mélange avec bonheur réalité de l'époque, avec notamment l'affaire Tichborne, qui donna lieu à un procès à la durée inédite et qui divisa l'Angleterre en deux camps, et personnages de fiction qui croisent cependant quelques figures littéraires passées à la postérité (Dickens, Thackeray, Forster) ou pas. A cette catégorie appartient le dénommé William Ainsworth, dont l'un des ouvrages connut un tirage plus important que Oliver Twist, mais dont la carrière sombra ensuite dans une graphomanie persistante, ce dont se délecte Zadie Smith. Mais c'est un personnage imaginaire, la cousine de Ainsworth, qui sert de fil rouge à L'Imposture, avec son caractère à la fois docile en surface et rebelle en réalité, féministe avant la lettre et esprit raffiné qui observe le petit monde littéraire anglais, la misogynie ambiante et le racisme décomplexé de la société avec son esprit aiguisé. Loin de la linéarité des romans du XIXe siècle, la romancière bouscule les temporalités avec virtuosité, sans jamais faire perdre le fil à son lecteur, obligé d'être attentif. Mais il ne peut que l'être, assurément, aiguillonné par un humour constant qui agrémente un style limpide et élégant. Le meilleur livre de Zadie Smith ? Définitivement, oui !