La préface de Colette, très postérieure à la rédaction de l'ouvrage, nous prévient : elle désavoue quasiment ce récit de jeunesse. Mais elle se montre sévère envers son double juvénile, un peu avec raison, un peu parce qu'elle a dû avoir du mal à se reconnaître dans ce regard un peu trop acéré et ce style parfois inégal. Malgré tout, on retrouve la patte qui la hissera plus tard au pinacle littéraire, en tout cas, au sommet peu fréquenté de mon Olympe personnel. Voilà donc l'histoire de Minne, peu sympathique adolescente au nombril de taille géologique, tout entière absorbée par ses rêveries sentimentales et bien indulgente avec la vénération silencieuse que lui voue sa mère. Sa fréquentation n'est guère une partie de plaisir. Et il faut attendre longtemps, une deuxième époque, pour prendre un peu fait et cause pour sa quête secrète : après le grand amour, Minne cherche farouchement le plaisir. L'un et l'autre lui échappent résolument. Elle s'exaspère mais s'entête; ce n'est pas le genre à renoncer. Quand ce sujet peu habituel apparaît enfin clairement, il est plus facile de s'intéresser aux rebondissements de l'odyssée intime de la gourgandine futile. Les clichés sur la société patriarcale du début du XXème s'effritent au passage, grâce à des personnages masculins plutôt pathétiques, martyrisés par l'indifférence de la féroce Minne ou émus par l'invisible fêlure qu'ils décèlent finalement en elle. Ce sont eux qui nous la rendent accessible. La fin du récit, histoire de la rédemption de cette narcissique immature, apporte un vent de fraîcheur dans son univers jusque là recroquevillé sur lui-même, et Colette nous sort du marasme par le haut, en laissant éclore la poésie dans ce récit jusque là plus clinique. En somme, ça valait le coup de s'accrocher.