Cette phrase résonne à plusieurs reprises dans la bouche de Pacha, personnage principal du roman qui part un beau jour chercher son neveu bloqué dans un internat où les combats risquent bientôt de faire rage. Son parcours sera semé d'obstacles, de visions poétiques, de souvenirs, du spectre à l'odeur de chien mouillé que l'on appelle plus communément la mort.
Mais Pacha n'a rien d'un héros. C'est un prof de 35 ans, incapable de combattre pour infirmité, et qui cherche sans cesse, dans un numéro d'équilibriste, à fuire la réalité de la guerre comme si elle pouvait ne pas être, et à construire une cohérence dans le chaos, entre ses souvenirs, son métier, et un présent démembré de son ossature et de ses habitudes.
Rien ne semble changer : les choses se désagrègent lentement depuis l'URSS, mais tout se perd également, pourrit, se désagrège, au point de miner la possibilité d'une relation à l'Autre (de quel camp est-il ?), la possibilité d'un avenir, ni pour soi, ni pour les choses, qui se voient à de multiples reprises dans le livre, dénuées de sens et de valeur, comme dans cette superbe scène dans laquelle une foule d'errants cherche à se réchauffer dans une maison dont la façade a été détruite, et que les livres servent à se réchauffer, dans des vestiges d'une vie qui n'est plus.
Pacha, infirme et seul, va se réaliser dans cette quête, changer, tout en restant un personnage repoussoir, parfois pleutre, parfois poète, indécrottablement humain. Ce livre est un vrai coup de poing, qui nous rappelle, dans la sphère de notre tranquillité, que l'intranquillité bat son plein, non loin de chez nous, et que le refuge retrouvé, avec ses odeurs rassurantes, n'est qu'une fragile parenthèse qui pourrait à tout jamais se refermer, se vider de sa cohérence et de sa fonction.